Introduction dtc
Chers ami-e-s, suite à une séance de cinéma suivi d'un débat rondement mené par le producteur indépendant Valéry du Peloux et le réalisateur Hubert Viel (je n'étais pas au courant), je m'étais senti l'âme de faire une critique cinglante sur ce film. Enfin je l'ai cru jusqu'à un moment donné, et puis je me suis dit pourquoi se donner tout ce mal, toute cette négativité pour un film absolument marginal. J'ai finalement laissé choir jusqu'à ce jour du 20/02/15.
Dans la salle, il y avait de tous les âges, des enfants, des vieux, pour ce film qui n'est distribué que dans deux salles parisiennes, après un passage dans deux trois grandes villes de province. Le fait qu'il s'intéresse aux femmes au moyen-âge sur un ton malicieux, enrobé des jeux de rôles d'enfants, cela me paraissait de bonne augure. Le fait que le film prenne pour objectif de court-circuiter notre vision du Moyen-Âge, de tuer le préjugé en nous-mêmes, cela me rendait curieux. Le fait qu'ils emploient le merveilleux et chrétien-humaniste Michael Lonsdale - qui n'a rien à voir avec la marque sulfureuse appropriée par les néo-nazis, espèce de complotiste antifasciste ! - cela me rendait assuré de la qualité du spectacle.
Le film se faisant, j'ai commencé à attendre le débat avec le réalisateur. Sérieusement. Mais, au moment le plus fatidique, je me suis tu. C'est une habitude apparemment. Je me suis tu moins par lâcheté que par compromission (ce qui est en soi une lâcheté sociale, soit - ce qui fait de moi un lâche et un hypocrite par conséquent. J'aurais mieux fait de ne rien dire...). Je me suis tu car... ma position et ma réaction allaient être frontales et réactionnelles. Je ne voulais surtout pas gâcher ce grand moment de complaisance que sont les débats avec les artistes (cf. critique sur Saint-Amour). Mais, "grâce au ciel", les questions n'étaient pas sottes. L'une d'elles interrogent le réalisateur-scénariste sur la genèse - huhu - du film. Le réalisateur répond deux choses : par des références telles que l'anticlérical historien-conteur Jules Michelet ou Régine Pernoud (cf. notes), médiéviste de référence, mais aussi par son envie absolue de naïveté, autrement dit de transcrire simplement des histoires avec des enfants - ce qui a donné au débat critique une indulgence toute puérile et stérile (que je vais autrement nommer lâcheté sociale, vomi de crédulité et nivellement par le bas). Je déteste ça perso. Lisez ce connard de Candide.
Une oeuvre idéologique dépassant le cadre du récit des réalités historiques
Dans ce film, entre des deux astuces de mise en scène et de jeu de la temporalité diégétique - puisque, de nécessité, on assiste à d'épaisses ellipses au coeur des Moyens-Âges, du plus bas au plus haut - on a quand même droit au discours selon lequel l'Eglise catholique a favorisé l'émancipation des femmes dans l'Histoire. Alors que nous vivons une époque animée sur la (dé)construction des genres, asséner l'idée que le rôle féminin était en proie à moins de violences et à plus d'humanité dans la société médiévale par le biais de la reconnaissance de la Vierge Marie, ça m'en foutait gros sur la patate. Je le dis, cette hiérarchisation des souffrances faites aux femmes dans l'Histoire est catastrophique. On parle d'évolution historique des rapports de genre et de sexe... Et on assiste en silence, en permanence, à un jeu comparatif avec la modernité moche et sans vertu et ce Moyen-Âge perçu comme "pas si mal". Manichéisme donc.
Non seulement le film fait une hiérarchie des souffrances féminines mais en plus il relativise les souffrances par des biais de jeu, de subjectivisme, de candeur assise. Mais ma grosse, l'émancipation n'a pas pour objet de quitter une prison pour en servir une autre ! On assiste alors à un déluge de révisionnismes médiévistes sous couvert de naïveté alors que la priorité du film semblait être favorable à une remise en cause des a priori.
On a, en effet, le droit à la panoplie surfaite mais bien réelle de portraits historiques. Vous savez, ces grandes figures. Je ne base pas cette critique sur la connaissance scientifique mais je sais que ça fait maintenant environ 30-40 ans que les historiens ont mis un frein à considérer l'Histoire de l'Humanité comme étant l'Histoire des "grands Hommes". Il s'en est passé des choses depuis Michelet et Pernoud ! Or, comme disait Levinas, nous assistons à l'Histoire des dominants, l'Histoire de celles et ceux qui avaient changé la société, par la science, par les armes, par les moeurs. Le film nous laisse à penser que les femmes changeaient les choses. Loin de moi d'évoquer le Moyen-Âge comme un "âge sombre", l'historien a quand même pour but, il me semble, de retracer des réalités historiques, dont des réalités sociologiques. Hubert Viel semble s'attacher à une vision de l'Histoire d'une seule réalité historique, celle des dominants. Sans sociologie aucune mais avec de la candeur pour soutirer le rire, c'est une suite de sketchs dignes des thèses "anti-antipatriarcales" d'Alain Soral, à savoir l'explication pure et simple de l'Histoire par l'existence d'une gynécocratie - je reviendrai sur ce point. Autrement dit, le film ne développe, à aucun moment, la conscience du sens des dominations et des intérêts dans la société médiévale. Il ne fait que constater les conditions potentielles de certains grandes femmes avec un optimisme crétin. Ah je me trompe ! Il y a peut-être, je dis bien peut-être, une scène absolument géniale pour démontrer l'ascendant des femmes sur les hommes : on y voit une fille, son frère et leur mère. La mère apprend à sa fille qu'elle va pouvoir étudier car elle est devenue majeure à l'âge de 12 ans. Elles devenaient adultes plus rapidement que les p'tits keums - non mais t'as vu le privilège de malade ??! Merci les ovaires et vive le rosaire !
Par conséquent, par delà l'éradication du sens des réalités sociologiques, si les femmes changeaient les choses, elles étaient à côté des choses, toujours comme un biais, une assistante, une consultante ou une régente. Parce que, figurez-vous, le Moyen-Âge a au moins ça de comparable avec aujourd'hui : il est tout aussi esclavagiste et patriarcal. C'est pas croyable.
Deuxième point que l'on peut distinguer dans cette démonstration mais qui est tout aussi problématique : l'allusion du film. La morale du film est très forte. Et comme dans toute fable bien tournée, son allusion l'est tout autant. Elle multiplie les oppositions.
Elle oppose grossièrement un archétype bourgeois mondialo-libéral de notre monde moderne et les filles pubères du moyen-âge qui vivent simplement et qui rêvent de planter de la camomille. Elle oppose les lois du moderne avec sa police aux ordres non plus de dieu mais des ploutocrates en boutons de manchettes et les lois médiévales (mais exit la problématique divine et de ce qu'était l'Inquisition). Elle oppose la zone commerciale bétonnée, bordée de sa zone pavillonnaire, de ses familles nucléaires recomposées, divorcées et la nature non maîtrisée, laissée au bon soin de la beauté de l'anarchie (comme aime à le penser le réalisateur, qui encore une fois opère un tri astucieux entre la réalité historique et l'omission volontaire). Cette dichotomie morale provoque le sentiment que, effectivement, c'était "mieux avant", autrement dit que le Moyen-Âge n'était pas si sombre qu'il n'y paraît, que c'était plus joli avec la nature qui guidait les êtres humains. Ça, c'est le premier effet Kiss pas Kool. Le deuxième effet Kiss pas Kool point avec la survenue d'un plant de camomille à côté du compteur électrique situé devant la haie délimitée de thuyas (ô plante sacrée des ceintures périurbaines, Michel Houellebecq te salue !). Les filles du Moyen-Âge comme celles du moderne trouvent tristes que tout soit substitué, comme sacrifié. Leurs impressions primitives se heurtent à la réassurance du grand-père qui affirme - tenez-vous bien - que l'Histoire est un cycle, qu'elle naît et, comme elle naît, elle sait aussi mourir ; que, dans la fin d'un cycle, les choses peuvent revenir, que la Vie peut prendre à nouveau le pas sur le gris mort-né de notre monde barbare à taille inhumaine, sans confiance, à l'amour dégénéré, aux rapports intersexuels sans respect. Bref, ce final nous invite, comme le suggère la succession d'anamorphoses finales dans leur cercle, à reprendre possession de cette idée de nature, à revenir à la source, car tout ce que nous voyons va mourir un de ces quatre, et que cette mort est finalement rassurante puisque ce sera l'occasion nouvelle de revenir à quelque chose de plus spirituel ? plus naturel ? plus vert ? moins peuplé ? Ô toi, camomille immortelle, qui repousse les murailles et les artifices d'une simple graine, avec la force d'une fleur, montre-nous le chemin !#jesuiscamomille. A vrai dire, ce n'est pas tellement le cercle qui est problématique, c'est l'hypothèse qui en découle. Moi-même, en tant que révolutionnaire, je me réjouis du potentiel qu'offre la mort des choses (je sais, c'est trop goth de faire son djihad). Mais, pour moi, cette mort n'est certainement pas l'occasion de revenir à l'état de nature pour combattre la vertu cupide et cynique. C'est au contraire l'occasion de rationaliser les forces productives au service des populations et de la verdure. Si j'écrase un tyran, ce n'est pas pour m'aventurer dans l'escarcelle d'un autre. Et cet autre, ce combat contre l'anarchie, c'est un combat avec dieu. C'est la mystification de toutes choses. Mystification d'un plant de camomille comme mystification des corps et des esprits des femmes, toujours plus destinées à être plus que des êtres humains - mais toujours aussi mal payées et jugées.
Je sais que mes adversaires catholiques de droite peuvent percevoir dans mes mots un signal alarmant de la destruction d'un pauvre plant de camomille. Je les plains. Chers Manif' Pour Tous, je ne suis pas vegan et je n'écoute pas de métal. Sachez bien que j'espère que la gestion centralisée de la propriété sociale fera toute sa place à la verdure. Quant aux hommes et aux femmes, quant à leur rapports sociaux, ôtons-leur toute mystique d'une part et tout fétichisme d'autre part pour que éclose un jour la camaraderie et l'amour libre. Car, reconnaissons toutefois une chose essentielle à notre période multi-précaire, c'est que nous nous sommes jamais aussi bien aimés que de nos jours.
Amour-anarchie !
NB : paradoxalement, il n'y a pas plus religieux que ce que je viens de dire - oups ! Comprend qui peut.
C'est pourquoi, à la suite d'une interview toute innocente accordée à ERFM, j'ai fait un courrier au service de communication d'un cinéma de ma contrée et j'ai déclaré en mon for que, cette fois, j'avais matière de ne plus me taire. J'ai décidé d'écrire cette longue critique pour un film marginal. Je faisais part dans mon courrier de mes inquiétudes vis à vis de ce film. Tout comme j'avais été inquiet du plébiscite accordé à "Des hommes et des dieux" (Civita's best porn movie). Je ne demandais rien à ce cinéma en ce qui concerne la censure (au contraire) mais je faisais part du problème d'accorder un "coup de coeur", un coup de pouce cinéphile à ce film. C'était problématique car la programmation perdait alors sa neutralité. Voilà. Je faisais part d'une suspicion car on nous vend un projet qui déconstruit les préjugés... Et, en fait, on en arrive à d'autres préjugés encore plus crasseux.
Très bien, si c'est comme ça, je mets le générique de Thalassa* : https://www.dailymotion.com/video/x3nzkie
NB : Je tiens à préciser aussi que je n'ai pas, dans mon sang, un gramme d'antifascisme, pas un gramme anti-FN, d'anti-cléricalisme ou d'anti-E&R. Mes ennemis sont les derniers remparts idéologiques de la propriété privée et de la codification familiale. Ils sont de gauche et de droite, et je les combats tous de manière égale.
NB2 : Il est dit lors de cette interview que - je cite - "les féministes de gauche vont trouver le film chouette". Chiche !
Un Moyen-Âge moyennement féministe
L'un des chapitres les plus catastrophiques dans l'univers des féminismes vient de voir le jour au cinéma. Il faudrait créer une catégorie à elle seule tellement c'est gros comme un algeco. Le réalisateur lui-même s'enorgueillit d'avoir été adoubé par 1 historien (sans toutefois en dire le nom) et d'avoir reçu 1 prix féministe (sans toutefois en dire le nom) !
Tout d'abord, revenons brièvement sur la condition féminine au Moyen-Âge. Pour ce faire, je ne vais pas m'intéresser aux exceptions mais à la femme lambda vivant à cette époque.
Il convient de commencer par dire, et le film le dit très bien, que les femmes ont une âme. Du baptême jusqu'à l'extrême onction, ça peut paraître dément mais elles ont une âme. Et c'est même pas en option, comme les vitres teintées sur la Dacia Sandero.
Une femme au Moyen-Âge pouvait être mariée à 7 ans, sauf dérogation de l'Eglise. Le mariage à cette époque est loin de l'union par l'amour car l'amour est perçu à cette époque comme découlant du mariage dont les principes fondateurs sont fidélité, procréation, sacrement. Une femme du Moyen-Âge peut ouvrir un commerce sans l'accord du mari. Jusque là, c'est génial, n'est-ce pas ? Les femmes pouvaient aussi échapper au mariage en allant au couvent, l'endroit rêvé pour étudier - l'université leur étant interdite - mais aussi pour brasser, bâtir, forger, tisser car cette main d'oeuvre est moins coûteuse. Si, en dehors du petit jésus, elles s'intéressaient d'aventure à la médecine, elles étaient tournée davantage vers la phytothérapie, la lithothérapie, l'obstétrique, la gynécologie et pouvaient servir d'assistante lors des dissections (faites par des hommes). Question beauté, elles se maquillent et elles s'épilent. Le poil est extrêmement mal vu ; les femmes s'épilent toutes les zones pour ressembler aux beautés diaphanes, y compris à la racine des cheveux. En dehors de la destinée familiale et de la voie monastique, les femmes sont des voleuses, des mendiantes et des putes. C'était alors là l'occasion de retourner (ou non) au couvent.
Je laisse ici un lien que je trouve bien plus explicite sur les conditions féminines au Moyen-Âge. Une émission radiophonique qui s'intitule "Le malheur d'être femme : de la désinvolture à la compassion dans la littérature médiévale". Au moins, ça a le mérite d'être clair.
Alors, on le voit bien, dans ce court portrait populaire des conditions féminines au Moyen-Âge, je suis sorti dubitatif du film d'Hubert Viel, non parce qu'il est partial ou qu'il a tort. Mais, en tombant dans la démonstration selon laquelle les petites filles du Moyen-Âge avaient des choix de vie, étaient influentes, c'est bullshit et mistigri pin pon (translation : il ment effrontément, le galopin). L'épisode, par exemple, sur Jeanne d'Arc - qui s'étire trois plombes - est absolument anecdotique. Mais sans doute faut-il considérer (ainsi que le dit l'extrait ci-dessous) que Jeanne est une figure féministe et que Jean-Marie Le Pen est un brouteur de MLF de première :
"Etre féministe ce n’est pas seulement filmer des femmes. Etre féministe ce n’est pas essayer de convaincre que le patriarcat n’existe pas et n’a pas existé, que la domination masculine ne fut pas parce que les femmes dominaient aussi les hommes par leur pouvoir de séduction. On peut même le dire c’est absolument tout le contraire. Qui penserait une seule seconde que Jean-Marie Le Pen est féministe car, comme Hubert Viel, il fait l’apologie permanente de Jeanne d’Arc ?"
Le féminisme des Filles au Moyen-Âge est essentialiste mais je ne peux pas raisonnablement l'affubler de la sorte puisque tout le Moyen-Âge est essentialiste. Cela fait pourtant parti de la critique politique actuelle, donc je le dis mais pas à charge. En revanche, ce féminisme est catholique : il considère - raccourci ou pas, osef - que le christianisme a amélioré considérablement la condition des femmes par le biais de la reconnaissance de la Vierge Marie, matrice reconnue du Saint-Esprit au sein du triptyque divin. Ce féminisme est aussi soralien... autrement appelé la gynécocratie #lol (si si y'a des conf' et tout là-dessus... Un féminisme révisionniste ou asociologique - car la sociologie enjoint la politique de l'excuse, thème cher à la droite et son extrême).
La gynécocratie**, c'est quoi ? C'est la remise en cause historique de la nécessité du féminisme, perçue alors comme une invention des femmes pour faire pression sur les hommes, pour que ces messieurs aient crainte pour leur virilité et pour leur salut sexuel. C'est la construction historique d'une sorte de mafia contre la masculinité.
Cette vision bien honteuse arbore notamment la condition féminine à tous les âges, revisitant les époques et en se servant de la remise en cause des a priori comme des démonstrations de vérités générales. Parmi ces remises en question, il y a notamment la démonstration partiale que les femmes ont bien eu un rôle prépondérant à chaque époque. Quand, par exemple, Hubert Viel titre Les filles au Moyen-Âge, le titre est un appel au voyage dans le temps mais aussi l'occasion d'un état des lieux. Comment est fait cet état des lieux des conditions féminines ? Il est fait en convoquant l'église comme émancipation de la condition des femmes, perçues alors comme les matrices de l'Esprit Saint ; il est fait en montrant des visages considérés comme représentatifs de ce que les femmes avaient le droit : médecins, amour courtois, guerrière ; et il est fait en montrant des figures emblématiques. De cette illumination capillotractée découle Jeanne d'Arc, Hildegarde de Bingen, Agnès Sorel et d'autres visages peu enclin à représenter la condition des femmes en vérité. Mais oui, elles ont existé... Et ont toujours été prise pour plus que des femmes humaines (elles-mêmes ne se sentaient plus pisser).
De la remise en cause de "l'âge sombre" du Moyen-Âge, on en arrive à l'extrême inverse. Pour avoir vu et entendu le réalisateur et le producteur en débat, je tiens à insister que, même si le sujet du film est centré sur la condition des femmes au coeur du Moyen-Âge, rien n'a été dit ni questionné sur le dit féminisme de l'oeuvre.
C'est dommage, ç'aurait été rigolo.
Le brio esthétique et de la distance
Je n'aurais pas passé autant de temps à évoquer ce film, à le démonter, si je n'éprouvais pas quelque malaise.
Dans ce malaise, il y a que je trouve ce film diablement intelligent et sensible. Faire jouer, par exemple, des enfants (et correctement en plus), jouer avec les temporalités, les rôles, les humeurs contrastées, faire des va et vient temps anciens / temps modernes, c'est le gros point positif du film : un mélange de distances provoqué par la naïveté de la fable.
L'image noir et blanc, sans tomber dans le cinéma indé arty, renvoie tout à fait cette qualité de songe et cette impression d'avoir ouvert un livre pour le refermer ensuite.
Sans aucun doute, c'est l'un des films les plus talentueux et l'un des plus achevés qu'il m'ait été donné de voir, en gardant un aspect spontané dans ses monty-pythonesqueries. Et puis c'est drôle ! Cela peut paraître troublant et contradictoire mais c'est drôle, drôle d'un humour non jaune. C'est un humour à la fois innocent, travaillé et à plusieurs niveaux de lecture (alors vous avez le choix hein : film spirituel ? politique ? féministe ? historique ? conte onirique ? - tout ça à la fois ?)
La part du jeu, de la volonté de jouer avec les codes, le temps, avec les humeurs, avec l'humour, nos conceptions du monde, est particulièrement manifeste et réussie.
Mais il se peut aussi que l'on emploie cette distance pour s'épargner tout le loisir que procure la controverse, un peu comme l'Opéra Comique qui a été, à un moment de son histoire, amené à faire jouer des marionnettes pour passer au-dessus de la censure. Cela s'est déjà vu dans l'histoire du cinéma, de prendre des enfants pour raconter des histoires un peu plus complexes, et où l'innocence faisant loi en nature. C'est par conséquent machiavélique sous le vernis de la chrétienté. C'est aussi habile que rusé. A croire que je suis moins dupe que le réalisateur qui, lui, nivelle en permanence sa volonté de faire.
Astucieux, malicieux, immersif, intelligent sur la forme,
catholique, profondément naïf au point d'en faire avaler des couleuvres, subjectif et menteur sur le fond (mais osef ça a été validé par un historien ! Cela ne serait pas Lacroix-Riz par hasard ? - lol)
Je me sens comme une critique schizophrène dans Télérama, dans l'étau du petit bonhomme triste et du petit bonhomme hilare comme Pico le chien sur les paquets de Chocapic. Oui, bon, en même temps, j'ai apprécié le film nazi sur "Le juif Süss". Je suis idéologiquement à l'opposé, contre cette programmation et cette vision de l'histoire, et en même temps, force est de constater que je trouve le film profondément intéressant, non tellement dans la démarche, mais dans sa construction et dans sa survenue, une survenue nécessaire qu'on peut retrouver dans la volonté cinématographique (et diamétralement opposé idéologiquement) de Peter Watkins. On aurait préféré un autre emploi de l'intelligence et de la subjectivité, et donc de l'argent dépensé.
Mélanger les Monty-Python, Thalassa, les Chocapic et Alain Soral, ça ne s'est jamais vu au cinéma. Les néo-bobo à la Benoît Forgeard peuvent aller se rhabiller. On ne peut raisonnablement pas censurer Viel. C'est trop riche en expressions pour qu'on prive les spectateurs et même les idées en société d'un tel film ambivalent.
Notes :
- Régine Pernoud a écrit "Pour en finir avec le Moyen-Âge", 150 pages de pistes pour porter un coup à mille ans de Moyen-Âge perçus comme un "âge sombre". La majorité des connaissances énoncées dans le paragraphe traitant du féminisme du film provient de cette oeuvre qui est aussi l'inspiration du réalisateur-auteur. Régine Pernoud est la tante du présentateur de Thalassa, Georges Pernoud. Le mot grec Thalassa, la musique à la François De Roubaix et les anamorphoses finales sur fond bleu : je suis... je suis... je suis Hubert Viel. #mediaconspi. Du coup, je n'ai pas résisté à l'envie de conclure ma première partie critique en mettant le générique de Thalassa.