Lorsque glissent les personnages sur un étang gelé, lorsque s’activent les maillots de bain sur une plage lumineuse, lorsque se suivent sans s’apprivoiser les cœurs dans les campagnes de Nouvelle-Angleterre, quelque chose se passe, la caméra accomplit de subtils mouvements et fait que cette histoire que nous connaissons tous déjà parfaitement s’agrémente d’une dimension picturale forte, déjà présente dans Lady Bird et ici magnifiée. Car si Greta Gerwing est en partie limitée par l’œuvre qu’elle adapte ici, elle déploie une palette d’artiste suffisamment personnelle pour gagner le titre d’excellente paysagiste qui sait capter l’âme des lieux et la faire correspondre (ou non) avec celle des protagonistes.
Raison pour laquelle la fille qui intéresse le plus la cinéaste est Jo March, l’artiste brimée dont le film accompagne l’émancipation progressive : le choix de Saoirse Ronan pour le rôle rapproche Les Filles du Docteur March de la précédente réalisation de la cinéaste, présente le personnage de Jo comme un double de Lady Bird contraint d’évoluer dans une société différente, mais également étouffante. Et la révolte menée par Jo vaut bien celle de Lady Bird. Tant pis pour les autres sœurs, tant pis pour la vie en sororité ici malmenée voire mise de côté. Tant mieux pour le spectateur qui, en dépit de la trame narrative qui se répète, relit l’histoire avec des lunettes différentes, disons renouvelées, et qui offrent une reconstitution soignée et pertinente des années 1860.
Malgré une première partie quelque peu laborieuse dans laquelle les enjeux sont mis en place non sans une certaine lourdeur, malgré un va-et-vient pénible sous la forme de flashbacks entre différents moments de l’existence de nos personnages, malgré une partition signée Alexandre Desplat trop envahissante à l’écran, Les Filles du Docteur March mérite le coup d’œil pour les magnifiques tableaux qu’il peint et le portrait d’une révolte qu’il croque avec avidité et malice.