Les 4 Filles du Docteur March (Little Women en langue originale) est un classique de la littérature américaine. Peu lu de ce côté de l’Atlantique, il pourrait, en allant vite, se résumer en un portrait de quatre filles de la classe moyenne américaine de la fin du XIXe siècle, avec leurs lots de difficultés, de jalousie, rivalité et finalement liées de manière indéfectible. Il serait dommage d’aller si vite. Car derrière les personnalités bien affirmée de la douce Meg, l’impulsive Jo, la dévouée Beth et l’orgueilleuse Amy, se cachent des jeunes filles unies par le point commun de vouloir s’émanciper dans un art à l’adolescence, et de se retrouver mis à mal dans ses ambitions par une société où l’argent est indispensable et la place est faite aux hommes.
Adapter Les 4 Filles du Docteur March en 2020 prend donc une connotation toute particulière de la part de Greta Gerwig, deux ans après l’émergence du mouvement #MeToo.
Le défi demeure de taille : il lui fallait d’une part ne pas faire un film symbole, modernisé à outrance dans son traitement, mais d’autre part réussir à apporter quelque chose à une oeuvre intemporelle et bien identifiée. Pari réussi. Greta Gerwig signe avec les Filles du Docteur March un film qui a le sens du rythme, accrocheur et original. Le parti pris de détricoter l’intrigue originale par un habile montage et l’utilisation de flash-back et de flash-forward fonctionne à plein. Il permet aussi de mettre en avant le personnage de Jo (largement autobiographique chez Louisa May Alcott), porté par Saoirse Ronan, absolument exceptionnelle. Ses trois sœurs à l’écran, en particulier Florence Pugh, n’en déméritent pas moins. Contrairement aux dernières adaptations, les quatre actrices incarnent les personnages à tous les âges. Cela pourrait porter à confusion dans la chronologie, mais renforce au contraire cette impression de souvenirs décrit par l’un des protagonistes.
Féministe à souhait, le film de Gerwig ne tombe pas dans le pathos et surtout dans le manichéisme peu subtil du rapport de force femmes victimes et hommes coupables. Au contraire : les hommes qui entourent les sœurs March (père, époux, prétendant ou mentor…) sont tous des complices des jeunes femmes, qui vont tenter de les soutenir et de les porter dans leurs ambitions.
Romanesque, intelligent autant que divertissant, Les Filles du Docteur March de Greta Gerwig est une adaptation sensible et une fresque de haut vol.