Une atrocité est à l’origine des Filles du Soleil : les ravages de Daech au Kurdistan, et plus particulièrement les conditions de vie des civils, générant une réaction de la part des femmes dont certaines se transforment en guerrières. Le sujet est fort, dur, et mérite qu’on braque sur lui les projecteurs. C’est ce que fait une autre femme, reporter de guerre qui s’intègre au groupe et immortalise leur lutte.


On a déjà posé la question avec Capharnaüm, présenté lui aussi au dernier festival de Cannes : la noblesse d’un sujet est-elle un blanc-seing à toutes les facilités et grossièretés des traitement ? Car, autant on percevait une certaine authenticité de départ et une sincérité indiscutable dans la démarche de Nadine Labaki, qui s’effaçait devant son sujet mais le malmenait tout de même par excès de pathos, autant Les Filles du Soleil concentre à peu près tout ce qui peut desservir la cause qu’il défend.


Golshifteh Farahani est certes superbe, et une grande partie de ses apparitions sont de véritables tableaux dans les clairs obscurs des cavités, magnifiant en mode de La Tour la beauté et la force de la femme libre. Cette picturalité, associée à d’autres séquences de combat sur un principe plus documentaire (esthétique ici loin d’être maîtrisée) auraient pu suffire.


Mais il a fallu qu’on nous enrobe le tout dans un récit sur lequel on s’est sentis obligés d’agréger des symboles. Symbole, cette photographe aux conduites ordaliques, qui prend son appareil au lieu d’une arme. Symbole, cette femme shootant des femmes qui shootent des radicaux. Symbole, ces femmes qui donnent la vie (un accouchement, autre combat) plus que la mort, qui cherchent leur enfant, et qui imposent au spectateur des explicitations qu’il était loin d’exiger : flash-backs à n’en plus finir, discussions interminables et musique prête à extraire les larmes au pied de biche.


Et Bercot de nous expliquer, en outre, son rôle, dans des dissertations d’étudiante en première année de parlotte devisant sur le regard du peuple, la démagogie et la décadence du monde, tu vois, heureusement qu’on est là quand même.


Mise en abyme gênante d’une cinéaste trop convaincue de son utilité, et qui n’a pas la grâce qu’ont ses modèles. Le photographe de guerre laisse parler son sujet, qui, dans la fixité et le silence, concentre les thématiques de la violence et la grandeur. Ici, le récit dérive vers un traitement de téléfilm (dieux du ciel, ce final en forme de retrouvailles explosives, une série de TF1 elle-même n’oserait plus), qui n’oublie tout de même de rester présomptueuse, en témoigne ce générique sur lequel, je vous le donne en mille, la protagoniste PARLE ENCORE pour raconter à nouveau l’histoire à laquelle on vient d’assister.


Une atrocité est à l’origine des Filles du Soleil ; une atrocité en est le résultat. On n’aura jamais autant souhaité, en quittant une projection, le silence et le retour de la dignité du réel.

Sergent_Pepper
2
Écrit par

Cet utilisateur l'a également ajouté à ses listes Vu en salle 2018, Vu en 2018, flop 2018, Cannes 2018 : Sélection officielle et Cannes 2018

Créée

le 22 nov. 2018

Critique lue 2.2K fois

37 j'aime

7 commentaires

Sergent_Pepper

Écrit par

Critique lue 2.2K fois

37
7

D'autres avis sur Les Filles du soleil

Les Filles du soleil
D-Styx
8

Un féminisme de guerre pour la liberté

Quelques minutes après la sortie de la salle du festival de Cannes, on reprend son souffle et on se remet de cette claque visuelle et émotionnelle. Les filles du soleil est un film puissant et...

le 13 mai 2018

9 j'aime

Les Filles du soleil
constancepillerault
5

Critique de Les Filles du soleil par constancepillerault

C'est un film plein de bonnes intentions, mais raté (d'où la volée de bois vert reçue lors de sa présentation à Cannes, dans la sélection officielle). Si les images sont belles, et l'interprétation...

le 25 mai 2020

5 j'aime

4

Les Filles du soleil
Cinephile-doux
5

En un combat pénible

La sélection du deuxième long-métrage d'Eva Husson en compétition officielle à Cannes l'a sans doute été pour une mauvaise raison (son aspect féministe). Un tel film aussi maladroit dans sa...

le 25 nov. 2018

5 j'aime

Du même critique

Lucy
Sergent_Pepper
1

Les arcanes du blockbuster, chapitre 12.

Cantine d’EuropaCorp, dans la file le long du buffet à volonté. Et donc, il prend sa bagnole, se venge et les descend tous. - D’accord, Luc. Je lance la production. On a de toute façon l’accord...

le 6 déc. 2014

773 j'aime

107

Once Upon a Time... in Hollywood
Sergent_Pepper
9

To leave and try in L.A.

Il y a là un savoureux paradoxe : le film le plus attendu de l’année, pierre angulaire de la production 2019 et climax du dernier Festival de Cannes, est un chant nostalgique d’une singulière...

le 14 août 2019

714 j'aime

55

Her
Sergent_Pepper
8

Vestiges de l’amour

La lumière qui baigne la majorité des plans de Her est rassurante. Les intérieurs sont clairs, les dégagements spacieux. Les écrans vastes et discrets, intégrés dans un mobilier pastel. Plus de...

le 30 mars 2014

617 j'aime

53