Dans un café, des badauds aux airs mornes et tristes écoutent les nouvelles colportées par la télévision. L'homme le plus jeune de la Terre est mort à dix-huit ans et le monde est en deuil. Un vent de désespoir se lève sur un Londres gris aux reflets steampunks et quelques instants après, une bombe explose, qui éventre la ville et mutile une femme, dans un cri perçant le silence de la foule. Quelque chose se produit dès les premières images du film dans lequel de nombreuses évocations se mêlent pour former une forme de rêve psychédélique mêlant dystopie, uchronie et délire fantasmagorique. En 2027, le Royaume-Uni est le seul pays qui n'a pas encore totalement sombré dans une crise cataclysmique ayant entraîné le monde dans un terrible effondrement. Le pays est laid, brisé, pollué et sinistre. Les militaires traquent les sans papiers, les renvoient à la frontière ou les assassinent purement et simplement. Un fonctionnaire débonnaire, Théo, est contacté par une ancienne amie, Cheffe d'un groupe de Résistants qui le mandate pour organiser la fuite vers la Mer d'une jeune réfugiée en attente d'un enfant, première mondiale depuis dix-huit ans. Une mystérieuse organisation secrète utopiste Le Projet Humaniste représenterait un espoir pour mettre fin au cauchemar et se proposerait d'accueillir la jeune femme pour sauver l'Humanité. Très vite, Théo déjoue un complot de la Résistance et accompagne contre vents et marées la jeune fille jusqu'au bateau Tomorrow en voyageant dans une Angleterre totalitaire ravagée et rencontrant une galerie de personnages étranges, archétypes et symboles des différentes forces du monde. Entre les ruines des écoles, les nouvelles armées de Dieu et les champs de bataille intemporels, dans des charniers sans fond et sans limites, le spectateur admire un monde fantasmé dans lequel tous les malaises de notre époque seraient portés à incandescence.
Les fils de l'Homme d'Alfonso Cuaron est un film qui porte une esthétique qui s'affirme dès les premières minutes de la narration. Gare à celui qui serait tenté de croire que le réalisateur voudrait porter à l'écran une dystopie crédible, car le film est assurément une forme de tentative poétique de représenter un monde déjà existant par de multiples symboles, comme si la stérilité représentait la perte de sens mondial et que le cosmos décrit n'était que le reflet hyperbolique de toutes les folies qui tentent de compenser cette anomie cataclysmique. Comment ne pas voir que derrière le bateau Tomorrow se cache l'attente sourde et glaciale d'un nouveau projet utopique qui permettrait de déjouer toutes ces transcendances malheureuses mises au jour dans le film à travers moultes personnages et moultes évènements ? Il n'y a aucune crédibilité dans ce film qui ne cherche ni l'exactitude ni même la vérité, mais qui dans un coup de poing magistral réussit le tour de force à nous insuffler en deux heures toutes les réalités des violences à l'oeuvre dans nos sociétés, par des images brèves et évocatrices, avec un brio symbolique rarement égalé. L'univers très riche du film ainsi que ses talentueux acteurs nous racontent un monde de demain sans la lumière des nouvelles idées et qui sombrerait dans un ressassement infini des anciennes lubies. Le film déroute par sa forme originale, par son ambiance très punk et ses différentes nuances grisâtres et paradoxalement vermeilles. Les fils de l'Homme est donc un film qui ne raconte pas le Monde de Demain, mais bien le monde d'aujourd'hui, errant en immonde vagabond entre les torrents de fange de la quête de sens : une Humanité perdue, aveugle, sourde aux cris des enfants qui ne naissent plus et des Idées qui ne s'inventent plus. Le Monde Moderne.