Comme une punition divine, l'humanité est privée d'enfant, contrainte de vieillir, agonisante, et de s'éteindre peu à peu. Face au chaos engendré par une telle catastrophe, seul le Royaume-Uni semble tenir debout, bancalement, sur les lambeaux de sa propre gloire, dans un état policier, ségrégationniste, refoulant tous les réfugiés de la terre.


L'ambiance est sombre, terrifiante, Londres est pluvieuse, grise, froide, abimée. Les murs décrépis s'effritent, les graffitis envahissent les clôtures, la police est partout, arrêtant au délit de faciès. C'est l'état fasciste. Plusieurs organisations rebelles luttent pour faire valoir les droits des émigrés, mais ils sont pourchassés. Le pays a mis en place des check-points, des camps, des zones interdites, une horreur disons-le et qui ne fait que résonner avec ce que nous vivons en Europe actuellement et qui risque d'empirer.


Theo, fonctionnaire est un ancien militant pour les droits des migrants. Ayant abandonné toute conviction suite à la mort de son propre fils, c'est un homme alcoolique et dépressif. Tout n'est pas perdu. Il revoit toujours un ancien ami hippie, qui cultive son herbe et écoute du John Lennon au fond des bois. Un autre de ses amis rassemble les oeuvres d'art sur terre, dans un but inutile puisque l'humanité est vouée à disparaitre. Mais il le fait. Retentit alors cette musique si ironique de King Crimson, signifiant le statut privilégié de ce roi du monde, contemplant les plus grandes oeuvres assis dans son salon. Alfonso Cuaron ponctue ainsi le film d'une musique délirante, géniale, à chaque fois pour signifier une ambiance particulière : contemplative, violente, lancinante, revisitant les grands classiques du rock britannique au passage (Radiohead, King Crimson, Lennon, The Rolling Stones...).


Un jour, son ancienne femme le retrouve par le biais d'une nouvelle organisation rebelle qui milite toujours pour le droit des migrants. Il doit, grâce à ses relations au ministère, procurer des papiers pour une jeune clandestine.


Il s'embarque dans cette histoire, folle, où tout le monde semble s'entredéchirer autour du sort de la jeune femme. La police rode, le voilà fugitif. Il ne peut plus reculer. Un soir, cette jeune femme se dénude, au milieu d'une étable, elle est enceinte, un miracle inédit depuis dix-huit ans. Theo mesure toute l'importance de ce ventre rond, devenu objet de curiosité, quelque chose d'inconnu dans un monde tout axé non plus sur la naissance mais sur la mort. L'espoir renait.


Il faut enlever cette fille de Grande-Bretagne car cette naissance clandestine serait inacceptable pour les autorités. Mais voilà, chacun instrumentalise le futur enfant, comme un objet de lutte et de pouvoir politique. La dégueulasserie de l'âme humaine surgit même dans ce qu'il y a de plus simple et de plus beau. Fuyant avec la jeune fille, Theo atteint un camp de réfugié au terme d'une traque haletante mais esthétiquement magnifique : scènes de bois, de rase campagne, de routes solitaires, de landes stériles. On a peur pour la jeune femme, souvent en danger et on est effaré par la bêtise humaine, toute égoïste et violente.


La jeune femme accouche : les cris du bébé résonnent dans un film où la figure enfantine est si terriblement manquante, marque d'espoir splendide, scène quasi biblique, l'allusion à la vierge Marie étant d'ailleurs faite dans un dialogue. Elle n'accouche pas ici dans une étable mais dans une chambre misérable d'un camp de réfugié. C'est-à-dire dans l'indifférence générale.


Le camp est un enfer, charnier humain où s'entasse la misère la plus crasse. Les rebellions grondent. L'armée répriment dans le sang. Arrive alors ce plan séquence incroyable, celui d'une traversée d'une rue encerclée par les chars, incroyable de violence, d'actions, de sons étourdissants. Theo finit par retrouvé le bébé et sa mère, qui s'étaient fait enlevé par des rebelles dans un immeuble encerclé. Il se faufile, blessé, dans les couloirs étroits et sombres, entre les gravats et les ruines. Les pleurs du bébé retentissent. Tout s'arrête. Les réfugiés regardent l'enfant, certains prient, certains pleurent, sous la musique toute spirituelle de John Tavener (que l'on entend souvent dans les films de Mallick ou Sorrentino, deux autres grands esthètes du cinéma adeptes du contemplatif). Les soldats s'arrêtent. L'espoir tient entre ces minuscules mains potelées de bébé. La scène est à pleurer. L'humanité revient, interrompue de nouveau, subitement et ironiquement par des coups de feu et l'affrontement final entre rebelles et armée.


Les voilà libres, prêts à s'embarquer pour un paradis où la mère sera tranquille avec son enfant. Ils voguent sur l'océan, tel Noé sauvant l'humanité du déluge...


Le film est éminemment politique : reprenant les thèmes orweliens mais aussi très actuel, Cuaron milite pour une reconnaissance des immigrants, n'hésitant pas à distiller une ambiance proche des balkans, des émeutes, des répressions sanglantes.


Le film est quasiment biblique, reprenant les symboliques de la naissance de Jésus, le mythe de Noé, le thème du jardin d'Eden. Mais le film est également très sombre : dystopie sur l'humanité, dans un futur volontairement très proche et apocalyptique. Cuaron y distille sa galerie de personnages parfois lumineux, souvent sombres, dans un décor chaotique mais magnifiquement travaillé. Car, nul besoin de regarder Gravity pour voir tout le talent du réalisateur, à la fois dans son esthétique et dans sa mise en scène : des plans séquences dantesques, millimétrés, caméra flottante et superbe, des fumées, une noirceur apocalyptique. Les fils de l'homme est une sorte de prophétie noire, avertissement envers l'humanité, dont la noirceur formelle renforce la noirceur du propos, nuancée uniquement par la naissance d'un petit bébé, maigre espoir mais vivace de l'humanité en peine.

Créée

le 15 sept. 2015

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Tom_Ab

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