Associer le mot « comédie » au nom de Murnau peut surprendre, tant le cinéaste semble avoir fait des tragédies sa spécialité. Pourtant, dans son œuvre, il existe bien un film qui dénote et qui fait figure d’exception : Les Finances du Grand-Duc.


Dans ce film, nous faisons la rencontre du Grand Duc d’Abacco, une île imaginaire qu’il gouverne. S’il semble très détendu et jovial, son petit Etat se porte plutôt mal, croulant sous les dettes. Alors que l’argent manque, son odeur attire les rapaces qui cherchent à faire des affaires sur les malheurs du Duc, essayant d’étendre leur pouvoir, voire de renverser l’infortuné souverain dont tout le monde veut désormais la tête. Les Finances du Grand-Duc va alors mêler comédie romantique, thriller et intrigue policière, où coups du sort et coïncidences vont régir le déroulement de l’intrigue.


À lire le résumé sans connaître le nom du réalisateur, nous serions tentés de penser que nous avons affaire à un film d’Ernst Lubitsch. Entre les déboires de l’aristocratie, les jeux de faux semblants et les arnaques, nous ne pouvons renier, à quelques détails près, d’importantes similitudes avec le maître de la comédie. Mais nous sommes bien, ici, chez Murnau. Car si le ton a grandement varié par rapport à ses précédents films, Les Finances du Grand-Duc suit leur trace, notamment d’un point de vue thématique. En effet, après avoir montré les effets destructeurs de l’obsession de l’argent dans La Terre qui flambe puis dans Fantôme, deux tragédies, Les Finances du Grand-Duc choisit un point de vue tout à fait différent mais pourtant dans la même lignée en termes de thématiques.


On retrouve, notamment comme dans Fantôme, un personnage qui a tendance à n’en faire qu’à sa tête, victime d’une société où la cupidité s’est répandue comme une maladie, et où le héros en paie les conséquences. De même, comme dans la plupart de ses films précédents, Murnau fait de la femme une source d’espoir. Coup de foudre dans Promenade dans la nuit et dans Fantôme, perspective d’héritage dans La Terre qui flambe, la femme, la Grande Duchesse Olga, riche héritière russe, incarne également une opportunité pour le Grand Duc d’Abacco. La différence, ici, est que leur union peut mener à une libération commune. Pour elle, c’est la possibilité de s’échapper du joug de son frère, et pour lui, de retrouver son indépendance. Si les motivations économiques ont certes eu un rôle important dans l’organisation de ce mariage, elles obsèdent davantage les personnages secondaires, parasitant l’existence paisible du Duc et de la Duchesse.


Murnau s’extirpe de l’ombre des Nosferatu et Fantôme pour faire des Finances du Grand-Duc un film solaire, enveloppé dans la lumière de ces paysages d’Europe méridionale. La légèreté du ton employé ne dessert pas la gravité du propos énoncé, explorant une autre manière de pointer du doigt la cupidité des Hommes et leur obsession vis-à-vis de la richesse et du pouvoir. On pourrait, presque, y voir le troisième élément d’une trilogie avec La Terre qui flambe et Fantôme, les trois films partageant le même fil conducteur, et un certain nombre de points communs. Dans une filmographie aussi riche que celle de Murnau, trouvant des sommets grâce à plusieurs chefs d’oeuvre, il est difficile pour un film comme celui-ci, aussi plaisant soit-il, de réellement tirer son épingle du jeu. Restant toutefois une comédie de bonne facture, rondement menée et bien écrite, ces Finances du Grand-Duc est une petite curiosité qui mérite le coup d’œil.


Critique écrite pour A la rencontre du Septième Art

JKDZ29

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