Contrepoint intéressant au Dirty Harry de Siegel sorti l'année précédente, Les flics ne dorment pas la nuit (joli titre français, pour une fois) fut rangé dans la même étagère à l'époque, grosso modo le film de flic réactionnaire et fasciste : vu d'aujourd'hui, le constat peut étonner. Ne serait-ce que par le contexte du personnage de Stacy Keach, qui a atterri dans les rangs de la police par dépit, après un échec du côté des études de droits, et par celui de George C. Scott, d'une incroyable humanité et d'une profonde mélancolie, les deux approches me paraissent diamétralement opposées.
Le film est tout entier plongé dans la nuit, et dans le quotidien le moins glamour qui soit des patrouilles de police. Il s'embarque sur un sentier déjà très balisé en apparence, celui des proto-buddy movies avec les vieux briscards expérimentés flanqués de débutants inexpérimentés. Sauf que jamais le film ne cèdera aux sirènes de l'action ou du spectaculaire, y préférant le versant dramatique de la routine en immersion dans la misère de Los Angeles. Rien de fondamentalement construit du point de vue du discours : on se situe plutôt du côté de la chronique au quotidien, non sans quelques grandes ellipses, baignant dans une mélancolie nocturne crépusculaire. Au détour de quelques altercations seulement, on entend Fleischer à travers la bouche de Kilvinski critiquer la société américaine, dans un élan de colère à l'encontre d'un propriétaire extorqueur qui menace de dénoncer des travailleurs clandestins. D'une manière plus générale, ce pessimisme se retrouvera d'ailleurs, sous une forme différente, dans le film qu'il réalisera l'année suivante, Soleil Vert.
Les nouveaux centurions, c'est ainsi que se considère le vieux flic philosophe, à l'origine du titre original The New Centurions. Le parallèle entre Rome et l'Amérique contemporaine peut paraître un peu osé, l'ambiguïté n'est jamais bien loin, mais ce qui reste collé à la peau, c'est bien cette pulsion de mort qui anime ces pauvres hères arpentant les rues miséreuses de L.A. La séquence du suicide, apogée de cette veine pessimiste, toute en non-dits, est d'une intensité incroyable. À l'opposé d'un personnage aussi évidemment détestable que Dirty Harry, Fleischer s'intéresse à des personnalités beaucoup plus nuancées, des flics dotés d'empathie pour certains, usés par leur métier et leur environnement, sujets aux bavures, plongés dans les ténèbres de leur monde.
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