Tragédie des bas-fonds dans la ville de Londres, mais pas les bas-fonds des damnés de la terre : ceux où les petits et grands bourgeois, arrivistes naïfs ou malins font leurs affaires. Dans Night and the City, un aventurier sans succès essaie d’organiser un combat et ainsi s’approprier le business des spectacles de luxe, tenu par une mafia. Loup dynamique mais sans flair, il se trouve empêtré dans de multiples affaires, utilisé par tout le monde pour les basses besognes ou les coups à risques.


Engagé auprès d’individus plus fourbes et avisés que lui, il court clairement à la catastrophe. La mégalomanie ne rend pas nécessairement visionnaire, pas plus que le vice n’immunise. Harry Fabian est un salaud pathétique, c’est un loser ce qui lui permet d’être une ordure en échec, mais ses crimes n’en sont pas moins consommés. Le destin est mesquin, les hommes bien trop lâches : au milieu, les sauveurs et les bonnes âmes sont bien en peine, comme Mary Bristol (Gene Tierney), femme auquel rien ne saurait résister et dont l’amour pour cet homme est une espèce d’aberration.


Exemplaire redoutable du « film noir », Les Forbans de la nuit est une singulière combinaison de réalisme et de lyrisme. Son style a pu inspirer La Soif du mal d’Orson Welles (1958), produit chahuté dont le résultat ‘culte’ est pourtant moins convaincant que l’objet présent. Night and the City s’autorise une violence assez rare, tout en se caractérisant par un cynisme réfléchi, profond, loin des gratuités et de la frivolité de ses ‘noirs’ contemporains (en particulier John Huston !). Comme un humaniste percuté par la bassesse de ses prochains, Dassin n’injecte que des nuances de désespoir à son œuvre ; il le fait avec maturité, sans dégoût.


Il n’y a pas de caricatures mais néanmoins des personnages très typés, parfois extravagants, complexes et avec lesquels le pire et le plus odieux est toujours sûr, mais toujours sans obscènité, avec cette grâce fatiguée des bandits résignés. L’action est située à Londres mais pourrait se dérouler dans n’importe quelle grand ville occidentale. Les films noirs ont en commun l’ambition de rapporter les angoisses et amertumes liées à l’existence urbaine, ce film y parvient avec son style plein de paradoxes heureux. Le regard est cru voir stoique, mais l’ambiance anxiogène à un point irrationnel.


C’est un peu comme si les prédateurs et aspirants étaient sur le point de basculer dans le Damnation de Bela Tarr, alors qu’ils doivent tirer partie d’un monde dangereux et intense comme celui d’Il était une fois en Amérique. Night and the City est tourné en 1950 par Jules Dassin, alors qu’il vient de quitter les Etats-Unis dans le contexte du mac carthysme. C’est le début de sa seconde période : la première est aux Etats-Unis où il débute, la seconde en Europe où ses engagements politiques et artistiques posent moins de problème, la dernière en Grèce, la plus longue puisqu’elle s’étale jusqu’à sa sortie en 1980.


Night and the City demeure un film hollywoodien par son casting et ses capitaux, tout en se détachant et survolant la masse par son style et son résultat. Il n’atteint pas le degré de machiavélisme d’Assurance sur la mort mais est certainement plus frontal et torturé, avec un pessimisme au fond plus dépressif qu’agressif. Le Troisième Homme n’est pas si loin mais lui est bien trop frivole, presque une sucrerie avec des jets acides. Ici il n’y a pas de place pour l’esprit et les petites combines cyniques, l’atmosphère est autrement lourde et les ailleurs tant rêvés inexistants, les personnages ne peuvent que trouver leur place dans un manège sinistre.


https://zogarok.wordpress.com

Créée

le 26 janv. 2015

Critique lue 539 fois

6 j'aime

Zogarok

Écrit par

Critique lue 539 fois

6

D'autres avis sur Les Forbans de la nuit

Les Forbans de la nuit
guyness
9

Dassin la demie lune*

Le loser n'est pas forcément cet idiot qui ne comprend pas les enjeux et les conséquences des actes qu'il commet. Ce n'est pas non plus toujours ce malchanceux chronique sur qui la poisse s'acharne...

le 27 janv. 2013

46 j'aime

7

Les Forbans de la nuit
SanFelice
9

All my life I've been running

Le spectateur est plongé dans l'ambiance dès les premières images du film. On assiste alors à une course-poursuite, réalisée et montée d'une façon qui en montre toute la rapidité et la violence. Un...

le 9 déc. 2012

41 j'aime

9

Les Forbans de la nuit
Torpenn
9

C'est la lutte finale

1950, vu que l'Angleterre poursuit son protectionnisme en matière de cinéma, les studios hollywoodiens viennent quelques fois tourner chez eux histoire de rentabiliser l'investissement... Ce coup ci,...

le 22 févr. 2012

40 j'aime

11

Du même critique

La Haine
Zogarok
3

Les "bons" ploucs de banlieue

En 1995, Mathieu Kassovitz a ving-six ans, non pas seize. C'est pourtant à ce moment qu'il réalise La Haine. Il y montre la vie des banlieues, par le prisme de trois amis (un juif, un noir, un...

le 13 nov. 2013

51 j'aime

20

Kirikou et la Sorcière
Zogarok
10

Le pacificateur

C’est la métamorphose d’un nain intrépide, héros à contre-courant demandant au méchant de l’histoire pourquoi il s’obstine à camper cette position. Né par sa propre volonté et détenant déjà l’usage...

le 11 févr. 2015

48 j'aime

4

Les Visiteurs
Zogarok
9

Mysticisme folklo

L‘une des meilleures comédies françaises de tous les temps. Pas la plus légère, mais efficace et imaginative. Les Visiteurs a rassemblé près de 14 millions de spectateurs en salles en 1993,...

le 8 déc. 2014

31 j'aime

2