En Oregon en 1851, tout est assurément barbare. Voilà plongé le cinéma de Jacques Audiard dans ce parcours initiatique au coeur d'un western crépusculaire. Deux frères, deux tueurs ,John C. Reilly et Joaquin Phoenix, se coupent mutuellement les cheveux et se chamaillent comme des enfants. La trame des Frères Sisters est ingénieuse car on va les voir lentement évoluer. On va suivre en parallèle le chemin d'un autre tandem,Jake Gyllenhaal et Riz Ahmed,vers la Californie. Jake Gyllenhaal doit garder un œil sur lui en attendant que les frères Sisters débarquent pour l’éliminer. Sur un rythme très lent, Jacques Audiard va aborder plein de sujet de réflexion comme la ruée vers l’or, mais aussi la rédemption, le rêve d’une société alternative et pacifiée.Il va étonner aussi en abordant l'arrivée de la modernité comme l’usage de la brosse à dents et la découverte ébahie de la grande ville et de ses commodités. Le film est original, assez intimiste, le moins spectaculaire possible. Ici, pas de grand canyon ou de couchers de soleil magnifiques. Servi par la partition d’Alexandre Desplat, la mise en scène s'avère parfaite. Souvent drôle , ce quatuor de comédiens est extraordinaire. Le récit surprend par ses petits rebondissements ,qui relancent l’action vers de nouveaux enjeux. C'est ni du western américain ,ni du western spaghetti. Jacques Audiard n'est pas non plus dans la parodie ou dans l'imitation. Il dépeint une société à l’aube de grands changements qui touchent de plein fouet les personnages principaux. Ici, les villages traversées se muent en de véritables centres urbains.Les deux frères vont le constater lorsqu’ils découvrent San Francisco qui sort de terre. Tourné dans les paysages d’Espagne et de Roumanie au lieu de l’Oregon supposé, l'amitié des personnages se construit davantage sur le raffinement de l'esprit que sur des actes de bravoure. Dans le dernier plan de La prisonnière du désert, on voyait le héros sortir du cadre de la maison pour s'éloigner au loin. Là, les deux frères franchissent le seuil du ranch familial. Tout est résumé. Pendant la durée du film, la violence n'est jamais idéalisée ,ni esthétisée. Les quelques batailles au pistolet ont beau être "découpées", on arrive quand même à suivre. Si on aime le western pour l'action en priorité , ce n'est pas le but de ce long-métrage. Après Hostiles il y a quelques mois, voilà encore un western dont le décor est une Amérique en construction, où tout semble encore permis. Jacques Audiard s'intéresse ici à comment l’Amérique est passée d’un monde sauvage, hostile et inhospitalier à une civilisation avec des lois et des villes, mais aussi comment ces deux visages de l’Amérique ne peuvent être dissociés l’un de l’autre. Si la civilisation semble bien avoir pris le dessus, la sauvagerie reste omniprésente. Ces frères Sisters ont toujours une certaine fragilité qui les rend malléables et sympathiques. Le monde autour d’eux change. Ils tentent de s’y adapter. L'intrigue prend son temps et ne se déroule pas selon les règles habituelles. On a le droit qu'à des balades tranquilles, sur des chevaux fatigués, des discussions au coin du feu et des affrontements quasi immobiles. Le film prend ses marques lentement et finit par surprendre. Sur un rythme assez lent , Jacques Audiard finit par faire changer tous ses personnages hantés par leurs démons.