Ah, nom d'une pipe de chameau vermoulu ! Quel casting! Terzieff, Brialy, Lualdi, Schiaffino, Ferrero, Martinelli, Interlenghi, Demongeot, Milian, Pasolini et Bolognini ! L'association des deux derniers pique ma curiosité. A la fin, je suis troublé. Le fond est nettement pasolinien, alors que dans l'esthétique est carrément bologninienne. L'alliage reste incertain selon moi. J’aime bien le film pour ces deux aspects divergents, en aucun cas pour leur combinaison. Comprenez ?
D’un côté, on a un scénario tellement pasolinien, très critique à l'égard de la jeunesse, surtout de la façon dont la société livre ces jeunes à eux-mêmes leur laissant pour seul horizon l’argent. Ces gamins sont comme des enfants essayant d’attraper la queue de Mickey. Ils sont prêts à toutes les bassesses pour y arriver, à toutes les trahisons, toutes les violences. L’objectif n’est pas tant de manger (ils y parviennent toujours) mais de brûler la chandelle par les deux bouts, comme les riches. Les rapports sociaux sont pervertis par cet argent. Riches ou pauvres sont victimes de ces rapports tronqués. Très pasolinien. On est devant le feu sacré de la jeunesse, la nécessité de vivre pleinement, de prendre du plaisir avant tout, et ce, contre le sort, contre les autres. Très très pasolinien.
D’un autre côté, on a une image très lisse, très belle. Que du beau gosse et de la belle donna. Au grand dam de Pasolini qui avait rêvé de Citti à la place de Terzieff par exemple et de tout un casting de comédiens amateurs. Sur l’esthétique du film, la patte bologninienne est évidente. Les plans sont magnifiques, pensés, cadrés au cordeau. Il sait attraper la lumière. Rome y pourvoit à foison : à Fumicino comme dans les thermes de Caracalla, le soleil fait resplendir les visages.
A mon goût, à ce jeu là, les deux gagnants sont Laurent Terzieff et Elsa Martinelli. La sublime italienne a une peau si blanche qu’elle capte ici l’attention avec aisance alors que Laurent Terzieff de manière plus animale, plus féline est l’axe majeur de la troupe. Je n’ai jamais captivé par cet acteur que j’ai trouvé trop rigide, figé et parfois même comme artificiel. Or, ici, c’est l’exact contraire : il donne à son rôle une incarnation, une fougue à la fois virile et émouvante, fragile, enfantine. Son jeu est remarquable de finesse. Très impressionnant.
Antonella Lualdi surprend. Dans ce film, elle fait preuve de caractère, d’agressivité. Aux antipodes de la douce donzelle des “Amoureux”.
J’ai beaucoup aimé Franco Interlenghi, encore une fois. Je viens de le voir et l’apprécier dans “Les amoureux” grâce à cette rétrospective Bolognini du Cinemed 2016. Il est encore plus intéressant dans ce rôle plus complexe, lui aussi très animal et encore enfantin par certains aspects.
Chez les rupins, Tomas Milian a un superbe rôle, très ambigu, par moments inquiétant, lui aussi très pasolinien. Parfait pour ce personnage de oisif. Et puis, il y a l’extraordinaire beauté de Mylène Demongeot, irradiante, mystérieuse et oh… enfantine aussi. Que de gamins dans ce film! C’est dingue ce que ce film peut paraître moderne!, très actuel, avec cette vision de la jeunesse désenchantée, regard pessimiste certes, mais si peu porté par son temps et tellement parlant aujourd’hui. Très en avance sur son temps. Peut-être que mon enthousiasme déborde. Car la même année 1959 voyait Claude Chabrol dessiner également une jeunesse dévoyée, dure, avec aussi Jean-Claude Brialy, dans “Les cousins”. L’air du temps? Sans doute. Et puis, on a toujours tendance à s’imaginer le pire pour aujourd’hui, alors qu’il est éternel.
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