Et si, pour innover, il fallait revenir aux origines ? Pour briser la gangue d’un cinéma qui croit depuis trop longtemps être parvenu à maturité, frayer à contre-courant jusqu’aux sources originelles, et brouiller les pistes ?
Les garçons sauvages est un voyage pictural qui semble tour à tour fauché, intertextuel à l’excès, archéologique et violemment libre. Les superpositions de plans jouent sur les perspectives, le noir et blanc semble emprunté aux expressionnistes, le baroque emprunte autant à la poésie de Laughton dans La Nuit du Chasseur qu’à la luxuriance du King Kong du duo Cooper / Schoedsack, tandis que des fulgurances colorées viennent déchirer la nuit par intermittence.
Alors que la séquence initiale laissait penser que l’île, destination des personnages, révélerait leur barbarie à la manière de celle de Sa Majesté des Mouches, on comprend progressivement que le parcours sera inverse. Vu comme une pénitence en un sens salvatrice, le périple est un itinéraire de délestage : il faut jeter les livres, laisser la puissance Trevor diluer son venin, se débarrasser, enfin, de sa virilité pour accueillir l’autre en soi.
Mandico, guide en terre inconnue, parvient à créer l’univers dans lequel il propulse son spectateur : les actrices sont des garçons, cette nature puissamment sexuelle transpire l’organique, et tout est possible, sur le plan de l’image comme des destins. Dans ce conte violent et barbare, éros et thanatos sont les vecteurs d’une créativité sans bornes, du rire à la consternation, de la fascination à l’inquiétude.
Si l’odyssée peut s’avérer un peu longue par instant, elle a le mérite de proposer une destination aussi étonnante que son point de départ. Alors que l’image prenait, dans son ensemble, la charge d’une polysémie (superpositions de plans, masques, citations littéraires), l’évolution des personnages converge vers un portrait à nu qui accède à une beauté nouvelle : les visages, la nudité de poitrines gonflées d’une vie nouvelle revisitent le sexe comme un terreau fertile et festif. Ou quand l’Eden annihile Adam pour magnifier, dans une douceur sauvage, la nouvelle Eve, et colore d’un trait gras les questions qui agitent tant la planète du septième art cette année.
Trip vibratoire et insolite, le film de Mandico rebat les cartes du cinéma expérimental, et surtout, insistons là-dessus, français. Quand la pauvreté du paysage national nous pousse à la plus grande clémence face aux innovations (voir, par exemple, la surcotation extrême du cinéma de Yann Gonzalez), on est heureux de se laisser réellement embarquer dans une odyssée aussi vivifiante.