Cela semble toujours suspect qu’un film de cet acabit soit totalement détaché des plus grands festivals (Venise notamment) et sorte en fin d’année. On pourrait de fait prêter l’intention au réalisateur de vouloir tout miser sur les Césars, l’académie adorant ce type de film avec des acteurs solides, un sujet universel, et une direction artistique particulièrement soignée. En fait, rien ne sert de médire, le film parle de lui-même, il n’est pas fameux.
Empesé est le premier mot qui vient à l’esprit. A force de vouloir être au plus près d’une réalité historique, Xavier Beauvois s’attarde sur nombre de scènes de genre autour du travail aux champs, de la vie à la ferme, ou de quelques intermèdes bucoliques. Le résultat est probant (il n’y a rien à redire sur les reconstitutions) et il le sait. Et c’est ce goût avancé de l’esthétique de son film qui lui fait perdre toute puissance narrative. En effet ses messages (la révolution industrielle qui s’amorce, la mutation du rôle sociétal de la femme, l’horreur de la guerre, l’omerta familiale…) se brouillent ou s’estompent au fur et à mesure que l’on progresse dans le récit. Récit qui lui-même est peu approfondi.
On peut s’enivrer, il est vrai, de la mise en lumière du chef’op qui, disons-le, fait classe, ou s’amuser de voir en action l’une des premières moissonneuses McCormick ou le tracteur Fordson. On peut aussi s’extasier de voir en image ce que nous racontaient nos grands parents ou aïeux de la vie d’alors, on peut…
Il y avait de la matière pourtant à évoquer cette période trouble que traverse cette famille. La guerre 14/18 a été traumatisante tant pour les soldats que les civils aussi bien au niveau du lien familial (absence, deuil, retour du conflit des hommes…), qu’économique (période de reconstruction jusqu’au milieu des années 20, progrès technologiques…) que social (familles monoparentales, précarité…). Beauvois essaie tant bien que mal de lancer des pistes, mais rares sont celles qui aboutissent, cela tient aussi à une fin des plus cafouilleuses et un poil ridicule. Il ne donne à aucun de ses personnages la possibilité d’exprimer pleinement son caractère butinant de l’un à l’autre.
Ainsi le rôle de la mère (et pourtant Nathalie Baye s’y investit à fond) le chef de clan par intérim dont on se demande à force de tergiverser quelles sont ses motivations réelles, la fille (Laura Smet) inexistante, la commis de ferme (Iris Bry) qui est censée avoir un rôle déterminant est victimisée complaisamment et le fils George semble lui ne pas trop savoir quoi faire. Je n’ai pas lu le roman mais je suis à peu près certain que la psychologie des personnages est nettement plus étoffée.
Malgré cette désorganisation, « Les gardiennes » reste un bel objet cinématographique, voire une belle illustration pédagogique de l’époque. En fait cela ressemble à du Bernard Clavel, les bons gros et beaux sentiments en moins. Par contre, sur un thème similaire (même si l’époque est différente) « Le semeur » de Marine Fransen est nettement plus percutant.
Au final, Xavier Beauvois se projette dans sa propre affiche, il sème à tout vent, mais ne récolte ni ne glane. Dommage !