Août 2009 :

Film bande-dessinée où l'imaginaire et la géniale poésie de Goscinny rejoignent la malice et le bonheur fûté de Pierre Tchernia, les Gaspards demeura pour longtemps personnellement un film d'enfance, qui fit rêver le môme que j'estois il y a cela des siècles quand le portable et l'internet n'existaient point, du temps où Le Luron et Coluche trustaient la scène comique en association avec Giscard et Mitterrand. Une époque où la télévision fermait le rideau à minuit. La société de consommation battait son plein, la crise ne pointait pas pleinement le bout de son nez mais ça n'allait pas tarder. C'était surtout la période où Paris se remodelait, La Défense sortait de terre et d'aucuns y voyaient matière à s'interroger sur le temps qui passe. Cette France qui n'en finit pas de disparaitre chargeait son lot de passions apeurées. Mais Goscinny et Tchernia loin d'être de vieux cons réactionnaires et agrippés au "temps jadis qui s'en va qué malheur!" carburent bien plutôt à la nostalgie souriante, heureuse, construisant leur univers à eux, en dépit du mordant goût de l'innovation à tout crin qui déborde largement parfois sur le mauvais (incarné ici par le ministre Charles Denner). Quand le souvenir émerveillé du passé ne se nourrit pas d'aigreur mais au contraire fourbit les armes d'un humour guilleret, chafouin, un poil anar, le spectateur se met les doigts de pied en éventail.
Au coeur d'un Paris sans âge, mouvant comme un sable, flou comme une brume marine, le film prend des allures de film de plage, de vacances, de fêtes et pourtant cette nostalgie laisse un petit goût de mélancolie, sans doute cette inquiétude de Serrault à la recherche de sa fille perdue, sans doute le regard triste de Noiret à l'heure d'abandonner son petit royaume troglodyte. Un film cotillon de fin de bal en quelque sorte.

Mais ce qui prédomine, c'est l'essence de vie. Le plaisir règne en maître absolu. La bonne bouffe, le bon vin, la belle oeuvre des hommes, le raffinement des arts, l'esprit communautaire aussi et tous les autres miroirs du vivre bien sont toujours présents. Le clochard et sa petite boite à musique, les oeuvres d'art que Noiret fauche au Louvre, les petits bruits de bouche de Carmet où sa langue et ses papilles se mettent à danser quand il goutte un bon pinard avec Serrault et Depardieu, ses commentaires ravis du joli moment qu'ils partagent, le concert improvisé du ténor joué par Roger Carel, les petits boeufs que se font après diner la joyeuse bande de Gaspards, la sollicitude jamais démentie du facteur Depardieu à l'égard de "M'sieur Rondin", tous ces petits instants festifs, de bonheur tout simple, sont les virgules du film et donnent le ton, le rythme d'un récit volontiers enfantin, espiègle et jovial. Le générique jouant sur les panneaux de signalisation avait donné le "la". L'irrévérence un peu cachée n'est jamais loin de se révéler mordante. Charles Denner en ministre aussi ambitieux qu'extravagant se prend pour Napoléon. Les gesticulations d'un Sarkozy plus vrai que nature finissent un peu par lasser car on a hâte de retourner sous terre, avec les Gaspards, retrouver la part de mystère que la première partie du film avait su instiller avec bonheur. Sans aller jusqu'à dire qu'elle constitue le meilleur moment du film, la quête de Serrault a quelque chose de très attirant, de l'ordre du fantasme sans doute. Plongeant en soldat de 14, dans les couloirs et les excavations silencieuses du sous-sol parisien, on le suit avec attention, subjugué par cet inconnu sans horizon, dans son odyssée à la recherche d'explications. En parallèle, la nostalgie du vieux Paris, la marque du temps qui est passé sont très bien décrites avec les petites vignettes iconographiques et ce client dont la voix roucoulante, modulée par la douceur des regrets fait écho à celle de Noiret plus tard.

Le monde des Gaspards apparait peu à peu, un monde presque surnaturel, facile, lié au plaisir, à la paix, à la solidarité, un univers interlope qui flirte plus ou moins consciemment avec les interdits, l'anarchisme, la rébellion, l'indiscipline. D'ailleurs ne sont-ils pas catalogués comme des terroristes par ce minisitre éperdu de pouvoir? Le pouvoir politique est bien plus imposant que le pouvoir de l'individu. Celui que s'est acquis Noiret -il n'est pas loin d'être despote en son pays, tout tourne autour de sa personne et son bon plaisir- est bien faiblard face à celui du ministre. Le film ne ment pas. Réaliste quand il veut, il est clair et net : le pouvoir politique de la cité l'emporte sur l'utopie des rêveurs et des chenapans. Les rouleaux compresseurs détruisent le monde de Noiret en quelques minutes. La soldatesque armée de tracto-pelles et de pioches défile avec la fierté des vainqueurs dans l'univers des Gaspards. Alors, face à la destruction, la petite bande se retire et adapte ses ambitions à la conjoncture et aux données du moment. Toute la noblesse des rats.

Echappant à un immoralisme mauvais teint, Tchernia et Goscinny érigent un monde accueillant, leur film s'adresse au "tout public", mais avec intelligence, réflexion et humour plus ou moins potache. Un joyeux petit film qui avec l'âge prend des saveurs de plus en plus nostalgiques et goûteuses : il prend de la bouteille, devient grand.

Vivement qu'un éditeur nous sorte un dvd digne de ce nom. Celui de Studio Canal a été fait à la truelle. C'est une immonde cochonnerie!
Alligator
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le 23 mars 2013

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Alligator

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