Alors délaissé par l'industrie cinématographique anglo-saxonne, Peter Watkins se tourne vers la Suède. C'est en 1969 qu'il réalise The Gladiators, une fiction satirique moquant les interconnexions entre les grandes puissances pendant la guerre froide et les pays neutres, toujours réalisée sous la forme d'un faux documentaire.
Avec son synopsis, Watkins tente quelque chose d'un peu différent de ce qu'il avait déjà fait.
L'objectif de rendre le jeu d'acteurs le plus spontané et crédible semble absent. On y perd forcément en profondeur. Les comportements des généraux sont plus grossiers, caricaturaux. La force d'organisation et de coordination de l'armée de Chine populaire est montrée en accéléré, comme pour la souligner de façon humoristique. Les soldats se meuvent avec une aisance surhumaine. Et la musique appuie le décalage en n'étant pas la plus appropriée mais en soulignant le plus d'ironie possible (exemple : la gloire dans la répression).
On peut se demander ici si la patte watkinsienne, se rapprochant au maximum de la réalité médiatique, historique, psycho-sociale, et politique, convient au genre satirique. C'est quelque chose qui colle merveilleusement au docu-fiction et au biopic, comme en attestera cinq ans plus tard son chef d'oeuvre Edvard Munch, mais qui semble assez inadapté dans une oeuvre non-réaliste, et satirique qui plus est. Cela crée un décalage, certes inoffensif à première vue, mais qui fait perdre au cinéma de Watkins sa raison d'être.
Le film se détache de la réalité dans la forme, mais aussi dans le fond, pour offrir ici d'avantage un cinéma d'opinion.
Dans Les Gladiateurs, la Suède, pays neutre pendant la guerre froide et alors considéré comme l'accomplissement de la sociale-démocratie européenne, héberge les jeux internationaux de la paix, sorte de Hunger Games avant l'heure dans lequel les grandes puissances s'affrontent via de petits groupes armés lors d'un événement cathartique unique (et convivial du point de vue des généraux) pour garantir la paix. Le pays fournit également la machinerie nécessaire aux péripéties guerrières de l'affrontement, une allégorie pour critiquer le financement des armes.
Suzanne Collins, auteure de la saga littéraire Hunger Games, adaptée au cinéma dans les années 2010, s'est très certainement inspiré de l'oeuvre de Peter Watkins, à moins que cela vienne du fait qu'ils aient tous deux été marqués par le contexte de la guerre du Vietnam et du Mouvement des droits civiques. Mais il y a des différences fondamentales, à commencer par la description des forces en présence.
Chez Collins, des districts plus ou moins pauvres sont montés les uns contre les autres dans un seul pays, l'Amérique. Une résistance qui a tous les attributs esthétiques et rhétoriques du camps communiste verra le jour pour s'opposer aux jeux, avant de n'être identifié somme toute que comme une nouvelle partie du système.
Dans Les Gladiateurs, la référence à la guerre froide est évidente, avec sa dimension internationale. Les forces communistes font d'entrée partie de l'événement, et il ne semble pas y avoir de force subversive, en tout cas pas organisée.
Par ailleurs, le public ciblé n'est pas le même. Collins a signé des romans pour adolescentes. Les films seront des produits dans la même lignée. Watkins, quant à lui, ne semble pas cibler d'âge particulier. A moins que soit ciblée la génération soixante-huitarde, car il y a bien ce personnage d'étudiant révolté, image d'une extrême gauche sans compromis participant aux jeux uniquement dans le but de détruire le système et de le remplacer par un autre, juste et égalitaire.
Mais c'est sous-estimer la radicalité du propos de Peter Watkins sur la notion de système. Le cinéaste semble ici exposer une opinion anti-tout-système en ce que les actions de l'étudiant apparaissent risibles, constamment en prise avec la fatalité et avec le cynisme qui peut en résulter chez ceux qui, probablement, se sont déjà essayer à la lutte pour un système juste.
Ainsi, Les Gladiateurs s'éloigne de la structure historique réelle pour fournir une allégorie de la guerre, du racisme, du pragmatisme et ses conséquences. Le film éparpille ces thèmes, le seul repère étant la machinerie entretenue même par des pays idéologiquement neutres voir avancés sur le progrès social et économique.
Le style du réalisateur dans une telle histoire ne fait pas aussi mouche que dans ses autres oeuvres, et le travail avec les acteurs semble plus pauvre. Mais Les Gladiateurs reste une oeuvre à part dans la cinématographie de Peter Watkins qui vaut bien d'être vue pour mesurer le positionnement d'un auteur qui, par crainte de manipuler son public, se met souvent très en retrait dans sa manière de traiter ses sujets, et tente ici une recette à mi-chemin entre le faux documentaire réaliste et le cinéma d'opinion qui nourrit tout de même la réflexion.
Je mets trois étoiles pour le concept, deux pour la réalisation, et une et demi pour la figuration de l'orientation. J'arrondis à 7.