Les Harmonies Werckmeister
Voilà le premier Bela Tarr que je vois, et cela s’avère une cruelle déception pour moi. Je m’étais laissé tenter par l’expérience au vu des notes extrêmement élevées de mes éclaireurs, de la moyenne SC, et d’un synopsis alléchant. Hélas, ce ne fut pas à la hauteur de mes attentes. J'ai trouvé ça très inégal, avec des fulgurances incroyables, et des passages à vide assez agaçants. Certaines scènes sont d'une grande beauté, et d'autres sont assez grotesques...
Déjà la première séquence dans le bar est vraiment splendide de poésie, les pas hésitants des ivrognes se transformant en une valse tournoyante avec en fond la superbe musique de Mihaly Vig, c’est d'une poésie innommable. En y ajoutant la marche de Valushka dans le noir de la nuit ensuite, ça en mettrait presque les larmes aux yeux.
Avec un tel début, je ne pouvais m'attendre qu'à un immense chef-d'oeuvre... Et pourtant non. Je retiendrai quand même le monologue du vieux Eszter sur les harmonies Werckmeister, admirable également, ainsi que des plans séquences très réussis. Mais justement, les plans-séquence ! Je trouve que ça plombe le film, et que tout cela est porté à saturation si bien que ça en devient presque insupportable à la fin, d’une lenteur effarante. L'exercice de style va bien trop loin, et je ne vois pas ce que cela apporte au long-métrage mis à part quelques très beaux plans, comme je l'ai dit. Ça rend le film lourd, notamment dans des passages où la caméra s'attarde sur des choses inutiles. Exemple, Valushka rentre à l'intérieur du camion de tôles et on a le droit à 30 secondes fixées sur les tôles. Ou encore, plan d'ensemble en contre-plongée sur les personnages qui marchent et sortent du cadre, puis 30 secondes sur une place vide. Je n'en vois pas l'intérêt, et il faudrait m'expliquer ce choix...
Autre reproche au film, le scénario trop brumeux. Je pense ici à l'histoire du prince qui arrive en ville et qui tout d'un coup se retrouve avec des centaines d'adeptes prêts à massacrer des gens pour lui. Alors certes, tout ceci est métaphorique, et ça permet une réflexion plutôt intelligente sur la brutalité humaine, et quelque chose d'intéressant avec le contraste de la baleine, symbole du divin rabaissé etc... Mais des explications n’auraient pas été de refus tout de même. Je ne me suis pas du tout senti impliqué dans la trame à force de tout ce symbolisme, mis au détriment des personnages.
Outre cela, certaines scènes m'ont paru gâchées ou ratées. Le "massacre" de l'hôpital, qui s'annonçait par un plan phénoménal d'une rangée de maisons cachant la fumée d'explosions funestes, est complètement gâché par la suite. A la fois, par 2 minutes malvenues où on suit la marche déterminée des destructeurs en plan séquence, ce qui a pour effet de détruire toute tension dramatique, et ce n'est pas en faisant des zooms et dézooms 5 fois que ça y changera quelque chose. Et ensuite, par l’apparition risible du vieillard nu qui les fait s’arrêter dans leur rage dévastatrice. Quoi de plus caricatural franchement ? Là on est sûr que le message est bien passé ! (au passage la chorégraphie du plan-séquence de l’hôpital est pas top, sachant qu’à un moment les types passent et tape un par un dans une caisse par terre avec une conviction folle…). Une autre séquence que j’attendais avec impatience comme un sommet de poésie et grâce, la rencontre avec la baleine. Je ne saurais pas trop dire pourquoi j’ai été dépité. Pourtant, ce ne fut pas à la hauteur de mes attentes, trop courte, sans intensité, peut-être…
Dernier grief. Le montage des musiques. Comment cela se fait-ce que ce soit si bâclé par moment ? Pourquoi des mélodies aussi belles sont-elles en plein milieu sans crier gare ? A côté de la virtuosité de la mise en scène, de la magnificence des ombres et lumières, ça fait un peu tâche. Ca brise un peu la puissance de certains passages, c’est dommage.
Je reconnais quand même à ce film de nombreuses qualités, qu’elles soient esthétiques ou philosophiques. Seulement, ça n’a pas suffi à me transporter, trop irrégulier à mon goût. Moi qui étais aussi tenté par le Tango de Satan, je pense remettre son visionnage à plus tard. 7h30 de plans-séquences, je ne pense pas être prêt pour le supporter tout de suite !