Mai 1940, l'Angleterre vit l'une des périodes les plus troubles de son histoire. Voyant ses alliés tomber les uns après les autres face à l'armada nazie, le gouvernement de Neville Chamberlain est tétanisé. Marginalisé par son propre parti mais soutenu par les travaillistes, Winston Churchill est étonnamment nommé Premier Ministre, mais ce qui est censé représenter l'eldorado pour tout homme politique britannique officie ici de cadeau empoisonné. Les Heures sombres retrace ce moment-clé où le destin de l'Europe repose entre les mains d'un bon vivant au passé chargé qui décide de renverser la table des négociations : l'Angleterre résistera et ne se soumettra pas au "peintre en bâtiment".
Joe Wright signe ici un biopic soigné sur la forme comme sur le fond. La mise en scène dynamique et épurée nous met rapidement en immersion et les 2h05 passent très vite. Un Gary Oldman métamorphosé joue un Churchill déterminé dans sa quête de la victoire mais peu à peu épris de doutes, attisés par les événements de Dunkerque relatés dans le film de Christopher Nolan. Des doutes sur lesquels joue la vieille garde du parti conservateur menée par le Vicomte Halifax défendant la voie des accords de Munich. Le film fait aussi le portrait d'un personnage sensible : malgré le soutien de sa femme et son amour pour sa patrie, ses principes moraux sont mis à rudes épreuves quand il s'agit de prendre des décisions que personne n'avait daigné prendre auparavant. Sa femme lui rappelle d'ailleurs qu'être imparfait ne le rend qu'un peu plus humain, un terme bien mis à mal en temps de guerre. Les Heures sombres expose aussi tout le talent d'orateur de Churchill, capable d'enjouer une Chambre des Représentants comme les passagers d'un métro, capable d'intimider le roi lui-même. Le combat par les mots est souvent négligé par rapport au combat par les armes alors qu'il est le facteur X de chaque conflit. Churchill est parvenu à rassembler une nation autour d'un espoir de liberté, un espoir qui a contaminé la résistance des pays alliés que qu'il n'a jamais réellement laissé tombé malgré leur reddition. Un aspect curieux aujourd'hui, à une heure où justement le Royaume-Uni souhaite s'isoler de nouveau.
Finalement, nous avons affaire à un film efficace et réaliste, ni dans la surenchère ni dans la glorification d'un personnage authentique et complexe qui a changé la face de l'histoire. Le fait que Joe Wright ne se soit pas éparpillé dans une exhaustivité sans faille nous permet de bien suivre chaque étape du combat du "vieux lion".