Durant les 126 minutes que dure Les Heures Sombres (qu’on ne voit pas passer), le film de Joe Wright égraine toutes les qualités dont sont faits les grands films.
Un personnage central historique charismatique, une intrigue resserrée et captivante, une interprétation mémorable et une réalisation impressionnante d’ingéniosité.
Joe Wright a souvent marqué les esprits par la virtuosité de ses mises en scène théâtrales et très riches visuellement qui dépoussièrent radicalement les sujets dont il s’empare (Orgueil et Préjugés, Reviens-moi, mais surtout Anna Karenine – cette scène de bal…). Avec Les Heures Sombres, il ne faillit pas à sa réputation. Son style est grandiose constamment, inventif en permanence.
Pour passer de l’intime et confiné à la terrible réalité du monde extérieur, il use avec maestria de changement d’échelles, comme lors de cette scène de bataille qui se transforme progressivement en un corps de soldat mort. Sa science des cadres fait des merveilles, modifiant constamment notre perception de l’image à l’écran. Une image qu’il confine lorsqu’il s’attache à montrer la solitude de Churchill (magnifique tableau du Premier Ministre engoncé dans un ascenseur perdu au milieu d’un écran noir) ou qu’il prolonge par des plans séquences lents et linéaires lorsqu’il filme les scènes de foules ou de combats. Le rythme ne faiblit jamais, toujours porté par la même élégance et excellence esthétique. Ce rythme soutenu se traduit également dans les dialogues, à l’image de la vivacité d’esprit de Churchill et sa faconde inimitable. Son humour et son goût du combat s’expriment pleinement dans des joutes verbales savoureuses avec ses opposantes, vibrantes lorsqu’il s’adresse à au peuple anglais, tendres et drôles quand il retrouve son épouse, soutien indéfectible au caractère bien trempé. Le choix d’un récit ramassé sur une période courte renforce l’impression de tour de force réalisé par Churchill, homme seul et lucide sur son isolement au début de son mandat qui parviendra à force de conviction et de discours habités à retourner son état-major, son cabinet de guerre, le parlement et finalement le pays tout entier.
La (ré)incarnation de Churchill par Gary Oldman, sidérante, donne à ces Heures Sombres une force peu commune, tout comme l’impeccable reconstitution historique. En narrant l’envers du décor de l’opération Dynamo, le film se positionne en parfait complément du très guerrier et très réussi Dunkerque de Christopher Nolan. Et rend compte dans un grand geste de cinéma du charisme de l’un des premiers symboles de la résistance face à l’envahisseur nazi. Oui un grand film.