Les films d’animation se font si rares sur la Croisette qu’il est toujours appréciable de pouvoir en découvrir un nouveau, d’autant plus lorsque celui-ci est français et qu’il est le premier long-métrage d’animation de Zabou Breitman, épaulée par Éléa Gobbé-Mévellec. C’est donc à l’occasion de la sélection Un Certain Regard du Festival de Cannes 2019 que l’on a pu découvrir Les Hirondelles de Kaboul, un travail de passionnés débuté il y a plus de six ans déjà.
Synopsis : Été 1998, Kaboul en ruines est occupée par les talibans. Mohsen et Zunaira sont jeunes, ils s’aiment profondément. En dépit de la violence et de la misère quotidienne, ils veulent croire en l’avenir. Un geste insensé de Mohsen va faire basculer leurs vies.
Les Hirondelles de Kaboul a tout du petit bonbon rafraîchissant fort bienvenu au milieu d’une lourde journée de festivalier. Déjà, parce que c’est un film d’animation et que les images à elles seules sont d’une douceur absolue pour la rétine ; ensuite parce que c’est un drame d’une heure vingt à peine véhiculant des valeurs libertaires universelles qui ne peuvent jamais faire de mal. Malheureusement, le film ne va pas vraiment plus loin, et c’est bien dommage. Devant le potentiel visuel et thématique que l’histoire semblait contenir, un sentiment de frustration émerge une fois le générique arrivé à son terme : Les Hirondelles de Kaboul est un beau petit film, très agréable au demeurant, mais tristement inoffensif et oubliable alors même que son sujet avait tout pour en faire le film « coup de poing » inattendu de la semaine.
Car en effet, Les Hirondelles de Kaboul est un film grave, profondément dramatique et ancré dans une actualité certes vieille de vingt ans déjà mais dont les enjeux demeurent brûlants encore aujourd’hui : la soumission de la femme, son émancipation, sa maltraitance, sa privation de certains droits fondamentaux dans de nombreux pays encore, et plus généralement la bataille sans interruption que doivent livrer ces femmes à travers le monde pour vivre dignement – voire simplement survivre. Aussi Zabou Beritman se sert-elle du contexte de guerre militaire pour y insérer une autre guerre, moins visible, non plus militaire mais sociétale : la guerre des femmes qui risquent parfois leur vie pour un peu de liberté ; l’occupation des talibans étant sans doute une manière d’illustrer l’occupation illégitime du monde par l’autre sexe. Tout le propos du film est ici, les différentes péripéties mettant à chaque fois en exergue une nouvelle dimension de la soumission féminine à des codes culturels patriarcaux : le port forcé de la burqa, la tyrannie des maris, les inégalités face à la justice, le mépris de leurs opinions, etc.
Si tout ceci est plutôt bien amené à travers les dialogues, n’étant jamais trop lourdement appuyé mais au contraire abordé avec une certaine élégance, ce sont les personnages en eux-mêmes qui noircissent grandement le tableau. Premièrement, la brièveté du film et l’enchaînement des événements font que les protagonistes manquent cruellement de profondeur, étant même parfois réduits à des stéréotypes (de méchanceté d’un côté, de dévouement de l’autre, d’innocence ou sagesse). En ressortent des personnages un peu trop manichéens, à l’exception d’un ou deux d’entre eux réellement bien écrits.
Mais c’est aussi le parti-pris visuel qui joue à la fois en faveur et en défaveur de ce long-métrage. Très épurés, les dessins suivent un minimalisme assez pertinent mais qui se heurte en même temps à des limites. À l’image du Conte de la princesse Kaguya de Takahata, qui réussissait à créer une poésie et un lyrisme uniques par la simplicité même du trait, Les Hirondelles de Kaboul tutoie par – brefs – instants cette poésie visuelle propre aux tout meilleurs films d’animation. Le résultat est esthétiquement magnifique, mais contrairement au film du Studio Ghibli évoqué, les personnages pâtissent collatéralement de ce minimalisme et manquent dans l’ensemble de caractérisation et d’identité (on est à deux doigts d’en confondre certains, selon les scènes, tant les visages manquent d’expressions et de détails).
Violent, tragique, beau mais trop superficiel, Les Hirondelles de Kaboul est un film qui ne marquera sûrement pas l’histoire du Festival de Cannes, ni celle de l’excellent cinéma d’animation français actuel, mais qui a le mérite d’être une œuvre qui transpire la passion et la sincérité. Maladroit, trop gentil pour les adultes et trop sérieux pour les plus jeunes, ce premier coup d’essai pour Zabou Breitman trouvera difficilement son public en septembre prochain (date de sortie officielle partout en France) ; mais il demeure encourageant pour la suite, et rappelle à son tour que l’animation peut aussi être mise au service de sujets graves ou polémiques. Reste encore à atteindre cette « corrosivité poétique » qui fait la marque des grands films et permettra à la réalisatrice de franchir un cap, tant technique que narratif. En attendant, on aurait tort de se priver de ce genre de curiosités cannoises qu’on aimerait voir plus souvent ; mais les files d’attente aussi interminables qu’impatientes prouvent que la demande est bel et bien là. Nous sommes sur la bonne voie.
[Article cannois pour Le Mag du Ciné]