La question du devoir de mémoire, ou de la nécessité d’informer, y compris sur les zones les plus sombres de l’humanité, est toujours délicate. Allier la beauté des aquarelles du film d’animation à l’horreur d’une société sous le joug des Talibans n’a ainsi rien d’une évidence, et c’est le pari fait par Les hirondelles de Kaboul, adapté du roman de Yasmina Khadra.
La dimension historique et documentaire est évidemment la première motivation du récit : triste coup de projecteur sur l’obscurantisme contemporain, où l’interdit fait loi, et qui distribue les espaces du film avec intelligence : la rue silencieuse, grillagée jusque sur le visage voilé des femmes, s’oppose aux bâtisses dans lesquelles quelques bribes d’intimité adviennent, mais progressivement étouffées par une atmosphère trop suffocante. La première scène, qui voit un citoyen participer à une lapidation, presque malgré lui, révèle avec pertinence la façon dont l’individu finit par abdiquer face à la totalité, l’embrigadement totalitaire s’installant comme une coutume.
Alors qu’on oblige surtout à cacher, l’ostentatoire est aussi de mise dans le régime de Terreur qui s’instaure : le récit se tend vers une exécution publique dans un stade, sommet cérémonial qui révèle au grand jour les méthodes radicales du fanatisme. L’intrigue vise donc à mêler ces destinées individuelles à la triste Histoire, prenant soin de rendre attachantes ces figures destinées au sacrifice. L’amour occupe donc une place de choix, pour une romance dans les tourments d’un âge obscur, qui n’est pas toujours très subtile, mais se met au service d’une dénonciation somme toute nécessaire.
Car il ne faut pas se tromper sur les intentions d’une telle œuvre, et sur les nécessités de passer par une forme de beauté (dans les sentiments évoqués, dans la palette graphique, très fine et délicate, dans ce jeu des ellipses, notamment grâce au souvenir d’un cinéma jadis bondé et auquel se superpose désormais une ruine abandonnée) pour rendre le discours plus prégnant : Les Hirondelles de Kaboul est un film idéal pour l’Education Nationale, et ce sans sarcasme aucun. En brassant des thématiques universelles, en occultant quelque peu l’horreur du réel par le recours au dessin, l’œuvre parvient à conter une fable noire qui sera à même de rappeler que les temps obscurs n’appartiennent malheureusement pas qu’à l’aube de l’Humanité.
(6.5/10)