Adaptation du roman de Yasmina Khadra, Les Hirondelles de Kaboul refuse tout moralisme surplombant pour accueillir les hésitations, les incompréhensions et les peurs des personnages comme autant de marques de la complexité humaine opposée au manichéisme doctrinaire. Seule revient, telle une métaphore filée, l’image du borgne par le biais d’un vieillard regardé comme un fou par sa communauté : elle dénote une attention portée aux yeux et à la vue, que l’on cache par des lunettes de soleil pour ces messieurs et par un tchadri pour ces dames victimes de ces derniers, quoique la présence de femmes gardiennes de prison et armées écarte toute lecture simpliste de la séparation des sexes ainsi que des rapports de pouvoir entre eux. Le borgne est celui qui voit d’un œil mais qui détient l’autre fermé, référence explicite au statut de témoin impuissant que suit le récit comme autrefois Jean de la Fontaine proposait celle de la besace pour renvoyer à l’orgueil.
La force du roman devient ici celle des images : la cage du gardien de football se transforme en potences, les marchés en espaces de lapidation, la déambulation dans les rues un moment de terreur paranoïaque… À cette dénaturation ambiante se heurte une belle et certaine sensualité, celle de corps enlacés et dénudés, celle des dessins qui en gardent la mémoire sur les murs de la maison ou sur ceux de la cellule. La résistance aux Talibans réside justement ici, dans cette exhibition du sentiment amoureux et du doute qui amène un homme à verser des larmes. Rien ne saurait être plus beau. Et si « aucun soleil ne résiste la nuit », le film a la pertinence de refuser tout crépuscule pour au contraire célébrer la résistance, la foi en la liberté et l’enseignement de la culture telle l’aurore d’un Kaboul revenu à la vie. Une œuvre puissante et poétique.