En ces temps de disette intellectuelle, comme il est jouissif d'assister à une fécondation tout en harmonie : celle de la musique de Jean-Philippe Rameau par les formes les plus contemporaines de danse urbaine. Mais aussi celle des danseurs issus de la rue par les mystères qu'ils pensaient inaccessibles, lovés dans les entrailles des opéras. J'ai abordé ce film documentaire sans grande curiosité, à vrai dire, suivant paresseusement les premières répétitions, malgré tout un peu impressionnée, comme toujours, par les prouesses de corps qui ne ressemblent pas du tout du tout au mien. La première partie, essentiellement consacrée aux chorégraphies pêchues de jeunes gens dans une forme olympique m'a suffisamment hypnotisée pour que j'accède à la deuxième manche : l'arrivée des musiciens, et de leur chef hyperactif à l'oreille bionique. Là, on grimpait d'un niveau, et l'énergie de l'orchestre, mené par une baguette magique, insufflait à la danse quelque chose de totalement nouveau. Et puis il y a eu le chant, par là-dessus. Des guirlandes de notes que seuls les chiens peuvent entendre parfaitement mais qui couronnaient le ballet des archets et des corps. Ajoutez à ça les lumières, les décors, le montage, ça aurait suffi à mes transports. Tout ça sans oublier l'introduction mêlant les voix des danseurs, témoignant de leurs origines diverses et de leurs histoires familiales uniques et souvent complexes. Une vraie ode à cette intégration qu'on n'arrête pas de donner pour moribonde. Et l'évolution, la maturation, plutôt, desdits jeunes gens au contact d'un art porté à son pinacle par des siècles de polissage musical. Il faut les entendre, vers la fin du reportage, faire le bilan de ce que ces mélanges qu'on aurait pu penser peu naturels leur ont apporté. Il faut dire pour ma défense que je suis ultra-réceptive à ce que dégagent les êtres humains tendus vers la réalisation d'une œuvre d'art, inédite, personnelle et finalement proche du sacré. Peu de choses me touchent autant que le spectacle d'une autre personne en train de puiser au fond de soi, avec patience, rigueur et respect, ce qu'il y a de plus beau et de plus délicat. Là, j'ai été servie. Rarement un film m'aura servi un plat aussi subtil, parfumé et roboratif à la fois. Je ne rentre même pas dans la description de ces scènes qui m'ont émerveillée et rendue fière de mon espèce, pour une fois. Pourquoi donc perd-on autant de temps de nos si brèves existences à chercher autre chose que ce qu'on nous montre là ? Ça dépasse mon entendement. Pour finir, le film évoque la tension que l'annonce de ce projet un peu barré a provoqué de la part des tenants de la Culture classique, avec une majuscule qu'on entend à l'oral. Bien vu, tout autant que les réflexions des danseurs qui espèrent que ce premier essai transformé ne restera pas marginal, parce que le dialogue entre les époques, les cultures, les générations et les styles a eu pour eu l'effet d'une drogue dont déjà ils avaient peur d'être sevrés. Ah, les bons jeunes gens ! Les bons artistes classiques qui ont su leur ouvrir les bras ! Franchement, tant de beauté à la fois, c'est inévitable d'avoir envie d'en reprendre une louche...