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Transfuge des mythiques "Simpson", le génial Brad Bird avait imaginé cette famille de super-héros à la fin des années 90, pensant les mettre en scène dans un long-métrage d'animation traditionnel...
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le 29 déc. 2014
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Début du XXème siècle. Le cinéma fait ses premiers pas puis s'émancipe de ses créateurs alors qu'il effleure à peine le potentiel de son langage. Quand il s'agira d'en maîtriser les ressorts afin de provoquer le rire, il se trouvera quelques maîtres à penser dont les noms, aujourd'hui, sont synonymes de génie. Parmi eux, les chefs de file Buster Keaton et Charlie Chaplin, suivis de Laurel & Hardy. Peu importe que l'on ait vu ou non leurs films car, dès que leur nom surgit, une foule d'images vient avec. Et aussi des mimiques, des visages, une gestuelle, tant ils font partie de l'inconscient collectif.
Revers de la médaille : ils ont occulté un de leurs pairs, Charley Bowers, incroyable touche-à-tout dont les oeuvres mêlaient parfois comique de situation, fantastique, animation et musical. La cinéphilie telle qu'on la connaît n'ayant pas encore pignon sur rue à l'époque, difficile de mesurer l'impact de son travail. Bowers commence à peine à être redécouvert, et on doute que son nom s'impose sur le podium de ses collègues malgré la qualité de productions où, tout comme eux, il officiait en tant qu'acteur principal. A l'écran, sa ressemblance avec Keaton est d'ailleurs troublante, au point qu'on l'imagine être passé pour un plagiaire !
Sorti en 1999, Le Géant de fer, film d'animation contant l'amitié entre un robot de l'espace échoué sur Terre et un pré-ado fan de fantastique, coule au box-office. Raison simple à cela : Warner Bros. cherche à essuyer les pertes d'Excalibur : l'épée magique, le premier long-métrage d'animation produit par leurs soins. La production du Géant de fer étant trop avancée pour qu'ils la stoppent, ils rognèrent sur la promo et les copies, réduisant sa distribution à une simple sortie technique. Immédiatement conquis par cette merveille sacrifiée, les cadres de Pixar invitèrent son réalisateur, Brad Bird, à rejoindre leurs rangs.
L'homme a déjà un script sous le bras : l'histoire d'une famille de super-héros contrainte de raccrocher le costume. Pixar adhère immédiatement et ses abeilles ouvrières en ont déjà des sueurs froides. Non seulement il s'agit du premier Pixar dont les héros sont des personnages humains, mais en plus, Brad Bird a rédigé un petit précis de torture pour les animateurs, soit des costumes par dizaines, des environnements ultra-variés, plusieurs actions complexes simultanées.... Et bien sûr, la crème du plus compliqué à gérer en animation : cheveux, flammes, eau, voire les trois à la fois, si possible à toute berzingue.
Pour cette ambition, Les Indestructibles est déjà un jalon majeur du studio. Bien entendu, les petits fous d'Emeryville étant à l'époque en plein boum créatif, ils donnèrent carte blanche à Brad Bird pour mener l'entreprise à bien, quitte à user jusqu'à la corde l'endurance de ses petites mains ; il faut voir le bonhomme, dans les suppléments, faire le tour des départements pour vérifier chaque détail. Second film à peine, et voilà qu'on lui accorde les moyens de ses ambitions. Sorti après l'attachant Monde de Némo et avant l'inoffensif Cars, tous deux axés sur l'anthropomorphisme, Les Indestructibles est presque une anomalie.
Mais c'est en cela que le film de Bird réduit à néant la concurrence. Libéré des contraintes d'un tournage live, la "caméra" épouse littéralement les mouvements complexes auxquels contraignent ses super-personnages. A vrai dire, Brad Bird lui-même semble expérimenter dans tous les sens, lui qui découvrait ici les possibilités de l'animation en images de synthèse. Creusant la profondeur de champ pour y plonger à vive allure, exploitant toute la diagonale du cadre pour illustrer ses morceaux de bravoure et multipliant les interactions avec l'environnement, il s'impose des défis tous relevés avec brio.
De façon plus pragmatique, il faut voir comment Les Indestructibles trouve dans le montage et l'agencement de ses plans une grâce tellement évidente qu'elle en est invisible. Réinventant un passage obligé de la comédie familiale, Brad Bird transforme un simple repas de famille en pugilat domestique, l'espace scénique répondant à la démonstration de force de chacun. Appliquant la formule à ses bastons et courses poursuites, l'homme construit un film frénétique et pourtant toujours lisible, clair, stimulant, jouant sur l'avant et l'arrière plan, les entrées de champ soudaines et les réactions impulsives avec un égal bonheur.
A ce titre, le climax urbain mêlant robotique, destruction à grande échelle et actions en parallèle constitue un sommet du genre. Sachant très exactement qui fait quoi, où et quand, le metteur en scène adresse une leçon de choses à toute la profession en termes de gestion de l'espace, accumulant les enjeux visuels avec une fluidité démentielle. A côté, la bataille fun et généreuse des Avengers fait pâle figure. Bien vite associé au tout-venant du spectacle grand public, Les Indestructibles évite l'erreur commise par énormément de blockbusters actuels : évitant la surenchère, il y préfère l'ampleur.
Pas en reste, le scénario est un modèle de cohérence. Mêlant suspense et pastiche, l'un et l'autre se nourrissant avec intelligence, le récit brouille la frontière entre ses références (les James Bond, Les 4 fantastiques), ses thématiques (réinsertion sociale, frustration quotidienne, ordre public...) et l'époque contemporaine où il se déroule. Rendu atemporel, le long-métrage bénéficie en outre d'un design dépouillé qui l'empêchera sans doute de vieillir. Pourtant, son ambition folle reste gentiment ignorée, un peu comme l'ami Bowers à l'époque. Sauf que Les Indestructibles aurait dû dominer ses pairs, les guider, pas seulement être vu comme leur égal.
De là à voir en Brad Bird un émule de Charley Bowers, peut-être pas. Mais c'est peu dire que Les Indestructibles, modèle définitif de la comédie d'action, reste salement sous-estimé (comme en témoigne sa petite moyenne ici), alors même que sa réflexion sur le genre évoque celle du Watchmen d'Alan Moore. A la fois vu par tout le monde et oublié par beaucoup, le long-métrage est comme privé de concurrence avec ses homologues live qu'il exploserait en deux minutes.
Exaltant et jubilatoire, Les Indestructibles est une oeuvre profondément amoureuse du langage cinématographique car respectueuse des possibilités qu'il offre. Le même respect qui guidait Michael Cimino quand il ruinait un studio pour venir à bout de La Porte du Paradis, et qui poussa Orson Welles a organiser le plan-séquence le plus célèbre de l'Histoire en ouverture de La Soif du mal. Ce même amour du 7ème Art qui, accompagné de moyens financiers solides, se donne sans retenue à son public pour le faire vibrer le temps d'une séance où il en aura dix fois pour son argent.
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Créée
le 6 avr. 2015
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