Rétrospectivement, une suite aux Indestructibles quatorze ans après le premier opus et dans le contexte hollywoodien actuel ne peut être qualifiée d'opportuniste. Il faut d'ailleurs féliciter Disney qui ose miser encore sur Brad Bird après l'échec de Tomorrowland, et alors même que la firme nous pond déjà des films de super-héros Marvel à la chaîne. Le succès d'une telle entreprise pourrait d'ailleurs lui tirer une balle dans le pied. Car en voulant proposer autre chose qu'un produit générique dont le dernier Star Wars du même Disney est un pur représentant, Brad Bird pourrait bien faire relever le niveau d'exigence des spectateurs. En effet, s'il proposait déjà en 2004 une certaine critique des supers-héros en les confrontant à la banalité de la cellule familiale et du travail de bureau, cette nouvelle création Pixar parachève cette démarche d'érosion de l'héroïsme américain. Et exhibe au passage une réalisation époustouflante.
C'est d'ailleurs bien la forme qui s'expose avec le plus de ferveur au spectateur : dès la scène d'introduction, les animateurs de chez Pixar veulent nous en mettre plein les mirettes, consacrant l'animation comme un terrain de jeu propice à la virtuosité de l'action. Toujours dans un fougueux hommage à Lalo Schifrin, la bande-son de Micheal Giacchino, qui accompagne la rythmique des corps élancés dans l'urgence d'une course-poursuite ou d'un fiévreux combat, est pour beaucoup dans la réussite de ces scènes. En cela, la classique séquence d'arrêt forcé d'un train en pleine course par Elasticgirl devient instantanément un modèle du genre, tant la grâce du geste et son inventivité visuelle sublime un poncif du film de super-héros depuis Superman. Les scènes plus humoristiques, notamment celle où le bébé Jack-Jack part à l'assaut d'un raton-laveur, sont traitées dans la même démarche : leur rythmique coupe tout autant le souffle, mais de rire cette fois-ci.
Cependant, des dires même de Brad Bird, le studio n'ambitionne pas avec Les Indestructibles de faire des films de super-héros, ce tout en les battant sur leur propre terrain pyrotechnique. C'est la cellule familiale qu'il sonde avant tout, thème simplement incompatible avec une mécanique narrative où le super-héros est censé protéger l'humanité toute entière avec ses supers-pouvoirs. Les problèmes de la famille Parr sont ainsi d'abord intimes, Bob et Hélène étant des parents avant d'être des supers. De là vient leur faiblesse, en particulier Bob devenu père au foyer, qui voit son virilisme progressivement mis à bat. En face, Hélène devient celle qui sauve le monde tout en subsistant aux besoins de la famille, dans un éloge de la femme émancipée qui n'oublie pas de lui attribuer astucieusement la charge mentale familiale, par un appel téléphonique en plein cœur de l'action. Insatiable d'idées narratives, le métrage ajoute la problématique adolescente avec la même subtilité, concrétisant par une amnésie accidentelle la peur juvénile d'être méprisé ou ignoré par celui qu'on aime.
Si cette suite s'était contentée de ce versant narratif, elle aurait déjà constitué un prolongement honorable du premier épisode. Mais là où la critique prend une autre tournure, c'est lorsqu'elle s'attaque aux structures qui engendrent les super-héros. En effet, Bob et Hélène veulent rendre légale à nouveau l'intervention publique des supers-héros, pour que leurs enfants puissent vivre en toute liberté leur anormalité et aussi pour éviter de finir à la rue. Mais cette volonté se retrouve doublement aliénée. Premièrement, c'est le pouvoir économique qui s'en empare avec la démarche de manipuler l'opinion publique à la manière d'Edward Bernays, inventeur du consumérisme à l'américaine. Deuxièmement, cet idéalisme d'une humanité protégée par ses éléments les plus exceptionnels est tout bonnement contesté par l'antagoniste du film, l'Hypnotiseur. Son combat est ainsi fortement idéologique : il veut extirper le peuple de son apathie en discréditant à jamais les supers-héros, quitte à les soumettre à sa volonté contre leur gré. S'il reste malfaisant dans ses actes, ses intentions n'en reste pas moins ambiguës, car elles sont animées d'un autre humanisme qui ne manque pas de toucher juste, bien qu'entaché de méthodes inqualifiables. Que le film n'embrasse pas cette vision subversive de l'ordre social montre que la proposition iconoclaste définitive à propos des supers-héros, qui remettrait radicalement en question leur existence même, reste encore à écrire. Mais cela montre aussi que Les Indestructibles 2 s'en approche avec un certain panache, qui va même jusqu'à souligner l'existence d'injustices que les supers ne peuvent pas combattre (en l'occurrence, l'impunité de l'oligarchie et la toute puissance du pouvoir économique).
Dans une interview accordée à Première, Brad Bird se prend à rêver du succès prochain d'un blockbuster aussi hors norme qu'Inception pour ouvrir la voie à de nouvelles productions plus audacieuses et inventives. Ce qu'il n'a peut-être pas envisagé, c'est que ce Messie espéré du divertissement pourrait bien être lui-même. Avec un film aussi dense et remarquable dans son propos, il nous offre plus qu'une gourmandise d'action familiale : une bombe artisanale capable de faire bouger les lignes à Hollywood.