Depuis la fin de son âge d’or, on a beaucoup reproché au studio Pixar de trop se reposer sur son patrimoine en offrant à ses films des suites non nécessaires, pensées à des fins mercantiles. Le bilan est en effet peu glorieux : deux suites à Cars, dont l’original reste pourtant l’un des moins bons films de la première période du studio, une préquelle timide à Monstres et Cie et un Monde de Dory sympathique mais loin de la grandeur de Nemo... Et si personne ne remet en cause la qualité de la trilogie Toy Story, nombreux sont ceux qui s’interrogent sur la pertinence d’un quatrième volet, pourtant prévu pour l’année prochaine. Mais s’il y un film du catalogue de la firme là la lampe dont une suite était unanimement désirée, il s’agit bien des Indestructibles.
Critique à lire sur La Dernière Séance
En 2004, le film réalisé par Brad Bird (déjà auteur du splendide Géant de fer) devient une référence du film super-héroïque - animé ou non. Bird y mélangeait alors la recette Pixar avec son propre univers rétrofuturiste, nourri à la pop-culture des années 50, pour raconter l’histoire d’une famille de super-héros à une époque où l’utilisation de super-pouvoirs devient prohibée. Les Indestructibles s’impose rapidement comme l’une des pièces maîtresses de l’oeuvre pixarienne et tant son univers au potentiel infini que ses personnages extrêmement attachants rendent l’envie d’une suite palpable. Il faut pourtant attendre une bonne dizaine d’années pour que celle-ci soit annoncée, une décennie qui voit Brad Bird réitérer l’exploit au sein de Pixar avec Ratatouille, s’initier au film live avec Mission Impossible : Protocole Fantôme, puis connaître son premier échec critique avec l’imparfait mais enthousiasmant Tomorrowland. Le metteur en scène attendait visiblement l’inspiration pour continuer l’histoire de la famille Parr de manière pertinente. Et c’est dans un marché saturé par les héros en collants et autres super-pouvoirs que sort Les Indestructibles 2, ô combien attendu mais dont on pouvait se demander s’il briserait la malédiction des suites de Pixar.
Le film commence immédiatement là où le précédent s’arrêtait. Le cliffhanger des Indestructibles premier du nom, qui tenait plus du clin d’oeil qu’autre chose, est ainsi recyclé par Bird pour devenir le point de départ d’un scénario malin, qui assume son statut de continuation directe. Alors que le débat de la légalisation des super-héros refait surface, Winston Deavor, un riche magnat, embauche Helen Parr, alias Elastigirl, pour devenir le porte-étendard de la cause des “supers” et force son mari Bob - Mr Indestructible - à assumer le statut de père au foyer. Cette inversion des rôles permet aux Indestructibles 2 de se construire comme un miroir du premier opus tout en abordant des thématiques plutôt d’actualité, comme la remise en question des statuts traditionnellement attribués aux genres féminins et masculins, l'émancipation de la femme et la lutte pour les droits civiques. Brad Bird témoigne par ailleurs d’une vraie confiance en son public, même jeune, pour assimiler le sens de son histoire sans passer par des ressorts éculés comme dispute de couple sur-appuyée ou une crise de virilité disproportionnée de la part d’un Bob émasculé.
Si chaque membre de la famille Parr se construit comme un archétype commun (le père de famille en plein crise de quarantaine, la mère se pliant en quatre pour maintenir le ménage à flot, l’adolescente mal dans sa peau, le jeune garçon survolté et le bébé imprévisible), le film prend soin de montrer ses personnages comme des êtres multidimensionnels aux interactions crédibles. C’est pourquoi, dans l’univers créé par Brad Bird, les scènes de dîner sont aussi importantes que les séquences d’action et pourquoi une portion significative du film est dévouée à Bob Parr et la manière dont l’ex-super assume son statut père comme il le peut. Cette intrigue pas si secondaire reste une preuve de l’étendue du registre dont peut se montrer capable le studio Pixar, d’hilarantes séquences mettant en scène Jack-Jack, le bébé aux multiples pouvoirs, alternent ainsi avec des scènes comme la conclusion du conflit entre Bob et sa fille Violet, probablement le moment le plus touchant du film. Cette portée familiale, qui faisait déjà la grande force du premier opus, se retrouve donc avec brio dans sa suite et l’attachement à la famille Parr et ses petits dysfonctionnements tout ce qu’il y a de plus humains permet à l’oeuvre de conserver une vraie richesse émotionnelle.
Pour autant, c’est bien autour d’Elastigirl que se construit l’intrigue principale de ce second volet. Et l’inversion des rôles se montre aussi bénéfique pour Bob que pour Helen, propulsée au rang de femme d’action au sang-froid inébranlable. Le film offre à son héroïne quelques moments d’anthologie et la place au coeur d’impressionnants dispositifs d’action mettant en exergue ses pouvoirs très cinégéniques, tout en en faisant une détective aux sens acérés. Un poil moins jamesbondien que le premier opus (on troque une île secrète servant de repère à un vilain machiavélique pour un décor urbain plus typique du film de super-héros classique), Les Indestructibles 2 reste un vrai film d’action, alternant entre course-poursuites effrénées et phases d’enquête autour des méfaits d’un mystérieux vilain, l’Hypnotiseur.
Haletante et rythmée, l’histoire déçoit cependant sur certains aspects. On peut ainsi regretter l’emploi désormais beaucoup trop récurrent dans l’animation américaine contemporaine du “méchant surprise” qui ne dévoile son vrai visage qu’au dernier tiers du film. L’Hypnotiseur reste un antagoniste crédible au background un minimum justifié mais n’a pas le capital sympathie d’un Syndrome nettement plus fun. D’une manière plus générale, Les Indestructibles 2 apparaît moins complet thématiquement que son prédécesseur. Le plan de l’Hypnotiseur questionne, avec raison, la légitimité des superhéros en les accusant d’aliéner les masses et de priver les simples mortels de leur liberté d’action en les faisant constamment s’en remettre à des êtres “supérieurs”. Hélas, l’idée n’est ni développée en toile de fond sur l’ensemble du film, ni réellement contredite de manière convaincante et reste donc reléguée à l’état de simple motivation pour le grand vilain.
Sans compter que si Brad Bird reproduit scrupuleusement la dynamique familiale qui constituait la grande force du film de 2004, il offre en revanche assez peu d’évolution à ses protagonistes. Dans Les Indestructibles, la famille Parr avait dépassé ses dysfonctionnements pour finir par opérer comme une vraie unité, alors que parents et enfants surmontaient leurs crises personnelles à travers l’exaltation de leur identité. La suite reste sur ce statu quo et, si le monde qui les entoure est en proie au bouleversement, ni la famille dans son ensemble ni ses différents membres ne connaissent d’évolution significative au cours du récit. Comme si Bird, soucieux de préserver l’intégrité de l'univers qu’il avait soigneusement créé quatorze ans auparavant, n’osait pas bouleverser ses acquis. En ressort ainsi l’impression d’un film au déroulement quelque peu classique et dont l’histoire marquera probablement moins les esprits que son prédécesseur, véritable vent frais sur le paysage de l’animation à sa sortie.
Scénariste un peu moins inspiré sur cette suite, Brad Bird n’en demeure pas moins un metteur en scène de génie. Son passage par le film live avait confirmé, renforcé même son statut de metteur en images talentueux, mais Les Indestructibles 2 est peut-être sa plus grande prouesse de réalisation. On s'ébahira ainsi volontiers de scènes d’action tout simplement ébouriffantes, découpées avec une finesse, un dynamisme et une ampleur dans le mouvement qui relèguent n’importe quel Marvel au rang d’un vulgaire téléfilm. Parfaitement à son aise lors de grandes course-poursuites mettant Elastigirl en lumière, Bird se montre tout aussi astucieux pour “filmer” des face-à-face en espaces exigus ou pour mettre en avant non sans une certaine jouissance les pouvoirs de toute sa palette de personnages, famille Parr comme nouveaux venus. L’univers des Indestructibles est plus coloré et vivant que jamais grâce aux énormes progrès techniques effectués par Pixar, comme toujours à la pointe de l’animation 3D et dont le travail de modélisation, d’animation et d’éclairage fait ici des merveilles, mais aussi grâce à une direction artistique typique de son auteur, nourrie à la science-fiction et aux comic books.
Malgré une écriture plus convenue et moins audacieuse, Brad Bird remporte son pari avec cette suite. Le film s’inscrit respectueusement dans le sillage de son prédécesseur et tend à le compléter plutôt qu’à le réinventer, mais n’oublie jamais que la grande force de l’oeuvre originale était la famille Parr et le réjouissant contraste entre la banalité rassurante d’une vie de famille et l’intensité trépidante d’une équipe de superhéros. Bien loin des conventions actuelles du film de super-héros, cette suite parvient à garder une vraie fraîcheur au sein d’un paysage saturé par la guéguerre Marvel/DC, et restera sans doute le meilleur film du genre cette année, si tant est que la comparaison avec une concurrence aseptisée a un sens. La question reste de savoir si la collaboration entre Brad Bird et Pixar va se pérenniser, le talent et l’inventivité du réalisateur étant sans doute à même de soutenir le studio dans son progressif retour en grâce. De là à rêver d’un Indestructibles 3, il n’y a qu’un pas...