Ce sont deux jeunes policiers tout droit sortis de l'école, avec les honneurs. Ils appartiennent maintenant à l'élite, la Police d'état du Massachussetts. On a d'un côté William Costigan (Di Caprio) et de l'autre Colin Sullivan (Matt Damon).
Lorsque j'ai montré ce film à des élèves de 3ème, ils ont eu une réaction fort intéressante. Ils ont dit qu'au début, ils confondaient les deux personnages (et ce, alors qu'ils connaissent parfaitement les acteurs). Et je me suis dit que cette confusion était savamment entretenue par le cinéaste.
La confusion est un des thèmes majeurs du film. Confusion d'identité pour commencer. L'un des enjeux du film est de savoir qui est la taupe (le rat, puisque c'est le terme employé dans le film). Quelle est l'identité du flic infiltré chez le mafieux Costello (Nicholson, démentiel) ? Quelle est l'identité de l'informateur de Costello chez les flics ?
Mais finalement, cet enjeu, qui est central dans le film chinois d'origine, n'arrive que relativement tard ici. Il faut avoir dépassé la moitié du film pour que cette question donne lieu à deux scènes très tendues où, tour à tour, chaque taupe est menacée d'être révélée.
Mais la confusion des identités va plus loin. Le cas de Costigan, le flic infiltré chez les mafieux, est le plus spectaculaire : il n'y a plus que deux personnes, dans toute la police, à connaître sa véritable identité. Il n'est pas policier, il n'est pas non plus un tueur, il est constamment un autre. Il n'a plus la moindre identité. Dans la scène où il poursuit Sullivan, on voit Costigan se refléter dans un carillon chinois ; son visage est alors éclaté en une dizaine de morceaux, comme un kaléidoscope identitaire. Personnalité multiple.
SPOIL
Lorsque l'on apprend que Costello est aussi informateur du FBI, la confusion des identités s'accentue encore. Car ça veut dire que le criminel, le chef d'une mafia sanglante, est également celui qui aide la justice.
A l'inverse, le FBI, en protégeant Costello, est littéralement entaché par les crimes commis par le mafieux.
FIN DE SPOIL
Ainsi, à la confusion de l'identité s'ajoute une autre, largement pire, la confusion morale. La frontière entre Bien et Mal est littéralement éclatée, aussi bien au niveau de l'action qu'au niveau de chaque personnage.
Il est strictement impossible de dire qui est bon et qui est méchant ici, tant chaque personnage agit tour à tour bien et mal. Même, Sullivan, qui a priori est le traître du film, commet de bons actes.
SPOIL
Après tout, c'est quand même lui qui tue Costello, même si la raison est assez particulière
FIN DE SPOIL
Le sens des paroles de Costello est très lourd : "Flic ou criminel : quand tu es face à un flingue chargé, où est la différence ?"
C'est sûrement là un des aspects essentiels du film : la violence balaie toute morale. Et cette violence est omniprésente dans le film : violence physique, certes, mais aussi violence dans les paroles, les dialogues. Les propos de Dignam (Mark Wahlberg, génial, malgré une coiffure pour le moins... spéciale) sont toujours chargés d'une grande violence morale, voire sociale. Au début du film, il traite Costigan de tous les noms, lui dit qu'il est un moins que rien, qu'il est d'une famille de mafieux donc qu'il est suspect lui-même, etc.
Et quand on voit le capitaine de police Ellerby (Alec Baldwin) tabasser un de ses agents, on se dit que les méthodes policières n'ont rien à envier à celles des criminelles.
La violence du film est typiquement scorsesienne : elle est partout, toute l'ambiance en est baignée, et les scènes violentes elles-mêmes sont très courtes, d'une brièveté qui augmente encore leur brutalité. Nicholson est excellent dans cette violence à la Scorsese : immorale, animale, et que l'on sent capable de tout.
Autre thème typiquement scorsesien qui domine tout le film : le pouvoir. Car telle est bien l'affaire ici : avoir le pouvoir. Comment Sullivan choisit-il son appartement ? Avec une vue splendide sur le Capitole, un des symbole du pouvoir. "Si vous prenez cet appartement, vous serez de la haute." Et c'est cela que veut Sullivan, être de la haute. Sa carrière monte d'ailleurs en grade à une vitesse impressionnante.
Grâce aux informations données par Costello. Et c'est là un des aspects très importants de tout ce jeu : l'information, c'est le pouvoir. Dominer l'information, c'est avoir le pouvoir. Sullivan infiltré dans al police ne se contente pas de donner des informations à Costello, il distille aussi des fausses informations à la police.
Si, à tout cela, on ajoute une musique formidable et magnifiquement utilisée, un rythme infernal qui ne baisse pas un instant (pendant 2h20, il faut le faire, quand même) et un casting parmi les meilleurs possibles, on obtient un très grand Scorsese.
Et c'est là mon propos principal : Les Infiltrés n'est pas vraiment un remake de Infernal Affairs. C'est une réappropriation par Scorsese, qui a pris le noyau central du film et y a collé les thèmes qui l'obsèdent depuis le début de sa carrière : la morale, la rédemption, la violence et le pouvoir. Même l'Eglise, si présente dans la vie du cinéaste (qui a voulu être prêtre) n'échappe pas à la moulinette scorsesienne.
Un Scorsese majeur, donc un immense film.