Hormis un sujet éminemment touchant, une lumière fabuleuse et une bande son extraordinaires, le principale qualité de "Les initiés" est avant tout cette mise en évidence des paradoxes de la société sud africaine et des comportements humains qui en découlent.


La romance troublée qui unit Xolani et Vija, ne se distingue en rien de celle de Johnny et Nasser dans "My beautiful laundrette", de celle de Jake et Ennis dans "Le secret de Brokeback Mountain" ou récemment celle de Chiron et Kevin dans "Moonlight". Elle est contrariée dans les faits, rejetée par la société et le poids de la tradition. Ce qui est pour le moins étrange ici car sur un niveau législatif, l'Afrique du Sud a voté dès 2006 le mariage homosexuel. Un pays peut se vouloir bienveillant en matière de pluralité des mœurs, encore faut-il que la population y adhère dans son ensemble. Cette population a pourtant subi le joug de la ségrégation blancs/noirs pendant des siècles. Dans la logique, les esprits devaient se libérer, la tolérance s'imposer, il n'en est rien. Dans ce sens, Kwanda, l'initié réfractaire joue un rôle symbolique et fort. Vivant à Johannesburg, l'une des grandes métropoles du pays, il se pose en catalyseur de la pensée libérale, pour qui un outing serait salutaire. Si Xolani, même s'il a conscience des difficultés, semble prêt, Vija dans son statut "d'homme" l'est beaucoup moins. Le sentiment s'opposant au désir, le sacrifice au confort.


De manière plus générale, la statut de l'identification est traité à l'avenant. L'Ukwaluka, cette tradition qui transforme un adolescent en homme suivant un rite douloureux (circoncision sauvage, isolement, brimades...) pose également la réflexion entre pratiques archaïques et modernité, et, par la même de l'évolution des mentalités. Le statut d'homme ne se décrète pas, il s'acquière grâce à un niveau d'éducation, une position sociale, un esprit de discernement, ce qui est l'opposé même de cette cérémonie.


Beaucoup profond que ce que l'on peut en lire, "Les initiés" est un film qui remue et bouscule les convictions par le prisme de son réalisateur. Ce sont ces propres questionnements qui apparaissent à l'écran, son incompréhension.


Mais là où Frears amenait le sarcasme, Lee le sentimentalisme ou Jenkins la désespérance, John Trengove tente de trouver une issue pour Xolani. Dramatique, éperdue où il joue le tout pour le tout pour préserver cet amour en le perdant. De ce sacrifice, naîtra sans doute, après bien des périples, l'apaisement.


La mise en scène sans esbroufe cible les moments clés qui construisent peu à peu la dramaturgie du récit. Cette espèce de lieu presque fantomatique (le camp où se tient l'Ukwaluka est détruit à chaque fois) accentue les tensions et attise le coté irréel et éphémère de la situation (rencontres Xolani/Vija, croyances/rationnel, passé/avenir...). Le travail de Paul Özgüro, le chef opérateur, sur les ombres et les corps est particulièrement impressionnant.


Mais ce qui l'est plus que tout reste quand même la performance de Nakhane Touré, dont c'est le premier film. Totalement habité par son personnage, il lui transmet ce qu'il y a de plus poignant, de plus attachant, de plus troublant. Il se fait symbole de la résignation à laquelle il apporte la noblesse d'un cœur pur. Il fait de Xolani une victime admirable, un héros ordinaire devant lequel on ne peut que s'incliner.

Fritz_Langueur
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le 4 mai 2017

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Fritz Langueur

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