Exécutant le programme contenu dans son titre, "Les Initiés" aborde frontalement le rituel initiatique, en suivant le voyage d'un ouvrier encore jeune, qui laisse derrière lui, à date fixe, la grande ville dans laquelle il travaille, pour rejoindre l'Afrique profonde et le village duquel il est originaire. Là, avec d'autres semblables, il endosse le rôle d'"instructeur" et se voit confié un groupe de quelques jeunes gens, ses "initiés", qu'il entraîne au cœur de la forêt vierge, en un lieu tenu secret, pour leur faire subir le rituel de l'ukwaluka, pratiqué par les Xhosa, en Afrique du Sud. Au moment de la circoncision qui ouvre ce rituel, le jeune initié, plus jeune homme que jeune garçon, doit crier, pour dominer et masquer à la fois sa douleur, tout en indiquant de quoi ce geste est le signe : "Je suis un homme !"
Mais qu'est-ce qu'"être un homme" ? Avec beaucoup de subtilité et de délicatesse, le réalisateur, John Trengove, s'emploie à montrer que, dans ces sociétés à la fois très figées et sexuellement très partitionnées, la réponse n'est guère plus évidente que dans notre Occident en crise et en mutation constantes. Des questions sont soulevées et leur complexité est creusée, restant ouverte, comme une blessure (à signaler, le titre original : "The Wound", "La Blessure"...) : à quoi les jeunes impétrants, qui ne devront rien livrer, ensuite, des rituels subis, vont-ils être réellement "initiés" ? Certains savoirs exorbitants ne risqueront-ils pas de se faire jour, savoirs véritablement intolérables, au sein de cette communauté ?
Et les "instructeurs" ? Quelles sont leurs motivations profondes, pour venir chaque année tenir ce rôle auprès de plus jeunes qu'eux ? La frontière entre "initié" et "instructeur" est-elle une seule fois et irréversiblement franchie ? Les "instruits" eux-mêmes ne risquent-ils pas de devoir, un jour, effectuer un pas supplémentaire dans leur initiation, comme celui qui leur permettrait de ne plus fuir devant les sentiments qu'ils suscitent ou qui s'agitent confusément en eux...?
Tous ces questionnements affleurent d'autant plus volontiers au contact de la demi-nudité des corps africains, lorsque les émotions s'offrent à la lecture presque à fleur de peau, portées également par des visages aussi expressifs, ouverts, que celui de Nakhane Touré, chanteur de son état, mais tôt repéré par le réalisateur pour incarner Xolani, le personnage principal. Et les chants proférés par des chœurs d'hommes, en polyphonie, nous bercent longtemps encore de leur rythme lent, avec une surprenante douceur...