Ce que la lumière doit à l'obscurité
Si Rosemary's Baby ne s'inspire pas clairement des Innocents pour sa séquence d'intro, je veux bien me pendre. Ce même principe d'une voix enfantine, chantant doucereusement une comptine et provoquant ce malaise, cet incroyable malaise ! Et nous ne sommes alors que dans l'intro, puis on voit une femme qui prie, surtout on voit ses mains, elles sont jointes, elles sont fines, elles sont presque osseuses, on se les imagine se tordre déjà.
Ces mains appartiennent Miss Giddens, une jeune femme qui va obtenir son premier poste de gouvernante, son entretien d'embauche permet de rassurer un peu le spectateur, l'ancrer dans le réel tout en procédant à une mini scène d'exposition. On arrive alors dans la superbe résidence, on va enfin apercevoir ces deux orphelins dont l'oncle ne souhaite pas entendre parler et qui sont sous la charge de cette belle blonde. Innocente.
Les deux charmants bambins répondent au nom de Flora (pour la plus jeune) et Miles (pour l'aîné), la première fredonne une chanson où deux amants se voit séparés et où le dernier subsistant se lamente sous le saule, le second est d'abord absent puisqu'à l'école mais ne tarde pas à revenir et se confond en politesse et sourires. Innocents ?
Jack Clayton en tout cas joue très rapidement la carte du malaise et ce de manière forte, au risque de perdre en efficacité, risque pris mais risque qui ne se réalisera pas : on reste fébrile pendant tout le film. Ce qui pourrait être présenté comme une bête histoire de fantôme, va bien au delà.
Comme le suggère le titre, tout se joue aussi dans ces comportements ambivalents, sur la perception qu'on a des personnages, sur l'éventuel décalage entre le ressenti et le réel ou le discours et les actes, le coté détaché et l'effet ô combien matériel d'une parole ou d'un regard ... On ne sait trop que penser, on ne sait pas vraiment quoi redouter mais ces successions de situations, de petits incidents ne peuvent que s'accumuler sur le spectateur, émoussant sa patience et ses nerfs, l'obligeant à être sur le qui vive. Le tout est servi par une maîtrise de l'ensemble, aussi bien dans la photo (ses ambiances en demi teinte, beau noir et blanc qui nous invite à confondre le jour et la nuit), que le scénario (en soi classique mais intelligemment développé), que dans le son (cet effet d'écho utilisé à juste escient en plus de la récurrence du O Willow Wally et des musiques d'ambiance qui ne sont pas envahissantes et pourtant jouent un rôle déterminant) et que dans la réalisation (la scène du rêve et la scène finale notamment).
On a de plus la chance d'avoir des acteurs extrêmement justes, impressionnants dans leur interprétation, surtout le jeune acteur qui joue Miles, dont le personnage questionne énormément. Tant qu'elle n'est pas effrayée, l'actrice principale est assez séduisante, la domestique (seule second rôle) est incroyable elle aussi dans son rôle.
Chaque scène de couloir m'a fait me souvenir de pourquoi je détestais les grandes et vieilles maisons quand j'étais petit. Chaque scène où apparaissent ces intrus dérange et oppresse tout en montrant l'âge du film : il n'y a pas encore l'odieux calcul de l'horreur suggérée et absente, ici c'est le propos et l'ambiance qui jouent ce rôle sans sombrer dans le moche ou l'exagéré.
Et je sens que ça va me hanter pendant un moment.
http://www.youtube.com/watch?v=Y4RSFDoM7YM