Garder forme malgré le trouble mental

Le film Les intranquilles donne un aperçu poignant et nuancé du quotidien d'une famille dont le père, Damien, souffre d'un trouble bipolaire. Les manifestations de la maladie sont explorées dans les grandes largeurs, la réalisation (la musique pour beaucoup) restitue l'intensité graduelle des périodes de crise et l'angoisse qui l'accompagne. Surtout, le réalisateur s'applique à montrer le poids de la maladie sur les proches (Leila, l'épouse, et Amin, le fils) leur tristesse et leur détresse. Les intranquilles sont ces trois membres du noyau familial, chez qui l'insouciance peut à tout moment laisser place à l'alarme, jusqu'à ce que la seconde ait définitivement raison de la première. On est loin des différents clichés qui accompagne les maladies psychiatriques, qu'on aime bien caricaturer dans les figures de l'artiste génial et transcendé ou du marginal psychopathe. On titille parfois la première voie, dans les scènes qui montrent Damien (qui est peintre) peindre compulsivement en pleine nuit... mais c'est pour mieux montrer qu'en définitive, la maladie l'entrave dans ses projets artistiques et existentiels. Le cœur du film se concentre sur le déséquilibre que génère la maladie dans la vie affective et sociale, et qui peut avoir raison des liens les plus forts. C'est ce qui m'a chamboulé et qui fait la beauté de ce film.
Je trouve pourtant que le projet de donner à voir la maladie est inachevé sur un point dérangeant et paradoxal. On observe en gros plans et à de nombreuses reprises la souffrance d'Amin et de Leila ( et c'est capital), mais trop peu celle de Damien (ça l'aurait été aussi). C'est Damien le malade, pourtant il est le plus souvent présenté comme celui qui écrase les autres durant ses crises, n'en fait qu'à sa tête, fait souffrir en bref. Longtemps est suggéré l'idée que s'il prenait sa capsule de lithium, tout irait mieux, que c'est une sorte d'immaturité pathologique qui le pousse à ne pas prendre son traitement (qui est quand-même particulièrement lourd et éprouvant). La conclusion désabusée de Leïla « la bipolarité c'est une psychose, on n'en guérit pas », en plus d'être une simplification abusive usant de catégories (la « bipolarité », la « psychose ») abandonnées par le milieu médical, renforce cette idée et fige la situation. C'est dommage, parce que malgré les nombreuses finesses de ce film, il peine parfois à envisager Damien comme un sujet, loin de la figure objectivante du fou. L'extériorisation de son malheur et les scènes de reconnaissance de la souffrance des uns et des autres (les plus belles du film) arrivent trop tard, ou la fin trop tôt.

BriBel
7
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le 4 oct. 2021

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BriBel

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