Le cheval de Turin est un film hermétique, j'étais souvent démuni pour y voir clair. C'est très lent et pesant, volontairement pénible. On est mis face à nous-même et conduit tout doucement à des questions vertigineuses sur ce qu'on cherche dans ce bas-monde. Le résultat de la cogitation n'est pas terrible mais je pense que ça ne dérange pas Béla Tarr plus que ça.
Pendant deux heures et demi, on observe surtout la vie quotidienne d'un père, de sa fille et de leur cheval de trait dans un coin reculé et hors du temps. Le mode de vie est dépouillé, le fonctionnement du foyer archaïque et la parole rare, lapidaire et brutale. Les humains se heurtent à la rudesse des éléments, le cheval à celle des humains. On trouve beaucoup de répétitions de scènes analogues avec des variations à la marge, qui n'en ressortent que davantage.
Béla Tarr se paie la civilisation humaine, ou surtout la condition existentielle générée par des modes de vie sédentarisés, bornée à l'horizon de la sécurité matérielle. En disciplinant le monde et les corps, l'homme ternit le premier et s'asservit lui-même, incapable d'enrayer le mécanisme qu'il a lancé et pris au piège. La recherche de permanence apparaît comme un leurre qui a pour seul effet de saper l'élan vital et de prolonger une vie aveugle et oppressante. J'ai vu ce film comme une sorte de mythe de Sysiphe misanthrope, où le châtiment n'est pas motivé par la démesure de l'homme mais par sa médiocrité et sa mesquinerie. C'est une apocalypse moderne, loin des flammes et des diablotins, mais pas terriblement séduisante non plus.