On devrait toujours proposer quelques coupes de champagnes au sortir des films assommants : pas seulement pour le plaisir de noyer son désespoir dans quelques bulles mordorées, mais surtout pour pouvoir écouter la mauvaise foi des spectateurs qui n'osent pas, devant un tel étalage de générosité faire preuve de mauvaise humeur. Surtout quand le réalisateur n'est pas loin et risque d'entendre. Il suffit de déambuler, et de décrypter : "c'était hypnotisant" ( = je ne me suis jamais autant ennuyée), "quelle force dans le propos, quelle intransigeance" ( = je n'ai rien compris), "complètement envoutant, non" ? ( = j'ai roupillé plus de la moitié du film, et je ne regrette pas), sans oublier le merveilleux "incroyable, ces images empreintes de désespoir" ( = c'était filmé avec les pieds, et complètement fauché).
Il faut dire que le dernier opus de Béla Tarr est assez loin de Camping 2. Pas beaucoup de gags, peu de femmes en maillot de bain, des rebondissements au compte-gouttes, et zéro tubes qui vous permettraient de vous souvenir des meilleures fêtes sur la plage cet été, le gars choisit pas la facilité. Mais bon, pour quelqu'un qui arrive à passionner avec des plans de 15 minutes de vaches sous la pluie, ça devrait pouvoir passer. Sauf que le problème, je crois, c'est que Béla a trop vu ses films, et comme nous il doit bien les aimer, alors il les refait. L'Histoire, dit-on, ne repasse pas les plats. La magie non plus, on dirait.
Une ferme paumée, une tempête, deux taiseux, un cheval malade (merveilleux acteur au demeurant, très crédible dans son rôle d'haridelle au bout du rouleau) et un monde au bord du chaos. On tourne en rond. Et puis c'est quoi cette image de téléfilm ? On dirait du Josée Dayan essayant de faire un mix de Mélancholia et de l'Ile nue avec en guest star Jacques Weber en paysan manchot (ah non, pardon, c'est pas lui, il mange ses patates sans danacol ! Eh, ton cholestérol, vieux.)
Bon, il parait qu'après celui-là, notre fier magyar arrête le cinéma (comme quoi, même les réalisateurs peuvent être lucides). Tu as raison, pour bien faire, il n'est jamais trop Tarr, Béla.