Les Invisibles par Patrick Braganti
Je me suis fait aujourd'hui onze nouveaux amis. Ils ont en commun d'être âgés de plus de 70 ans, d'être homosexuel(le)s. Ce sont des hommes et des femmes, la plupart en couple, qui reviennent sur leur enfance, leur jeunesse et leur parcours. Mais là où on penserait entendre du dépit, de l'apitoiement, de la rancœur, de la plainte, on reçoit des témoignages intelligents, lucides et parfois drôles qui transmettent une énergie revigorante, un amour de la vie, une croyance indéfectible dans le désir appréhendé comme le moteur irremplaçable pour continuer à vivre, mieux : y trouver du plaisir et du bonheur. C'est aussi un vrai film de cinéma, lumineux et solaire, qui fait la part belle à la nature (puisque l'homosexualité est bien sûr naturelle au sens où elle est innée) et à la campagne où nos amis résident le plus souvent. Onze personnes qui sont de grandioses comédiens, presque malgré eux, maniant une parole claire et pétrie de bon sens. C'est une merveilleuse leçon de vie qui nous est donnée par ces fringants septuagénaires, qui n'ont jamais baissé la garde, soit qu'ils ne se posaient pas de questions outre mesure, soit qu'ils ont choisi de lutter, de résister, de prendre en main leur existence. On sort du film dont on aurait aimé qu'il se prolongeât des heures, heureux et régénérés. Une rencontre magnifique et émouvante filmée avec magie, par une caméra qui se tient à la bonne distance en respectant l'intimité, en refusant d'être trop intrusive et en nouant néanmoins un rapport d'empathie et de proximité - les intervenants tutoient le réalisateur lorsqu'ils s'adressent directement à lui. On en profite aussi pour revisiter l'histoire des luttes qui accompagnèrent puis suivirent mai 68 avec les manifestations hautes en couleur des collectifs en charge de défendre la cause et les droits homosexuels. Car pas de langue de bois ici, tout est dit sans forfanterie ni honte. Chapeau bas aux onze combattant(e)s.