Les Jours comptés raconte un peu l'histoire d'une épiphanie triste, la prise de conscience soudaine et totale d'un ouvrier plombier quinquagénaire qui a passé toute sa vie à travailler de manière acharnée et qui réalise brutalement la vacuité de son existence. Il aura suffi d'un jour, et un mort dans un bus, pour que Cesare Conversi subisse cet électrochoc existentiel lui rappelant sa finitude, et dans le même mouvement la nécessité de profiter de la vie avant que la mort ne le saisisse lui aussi. Il découvre malheureusement que profiter de la vie, pour lui, dans sa condition, n'est pas aussi simple que ce qu'il pensait. Ce n'est pas un coup de baguette magique qui repousserait en un clin d'œil les tracas, les contingences, et cette mort, inexorable, obsédante.
La tonalité très pessimiste du film en est la pierre angulaire, le moteur, l'élément central, ce qui fera que certains s'y retrouveront naturellement là où d'autres se sentiront rebutés par ce constat un peu unilatéral et brutal. Car au-delà de l'aliénation par le travail dont le protagoniste doit s'extraire afin de se lancer dans sa quête subite, il y a tout un pan ayant trait à la désillusion profonde qui le secoue. Face à l'absolue nécessité de bousculer son quotidien, de changer ses habitudes, de profiter enfin de plaisirs divers, il se retrouve face à un mur. Chacune de ses tentatives, loin d'apaiser la tristesse suscitée par un tel choix émotionnel, ne fait que graduellement amplifier la douleur et le désarroi. Elio Petri travaille une veine mélancolique de la plus belle eau. Et Salvo Randone est vraiment parfait dans le rôle principal.
Car il est trop tard. Changer sa destinée, à son âge, paraît bien difficile, si ce n'est impossible. L'obsession de la mort le taraude ainsi : va-t-il, lui aussi, comme cet inconnu dans le bus, mourir sans autre forme de procès, sans laisser aucune trace, sans savoir combien de temps il lui reste ? À l'urgence tout juste apparue de changer son destin s'oppose fermement une série de désillusions tenaces. Il vagabonde au hasard, entre le tribunal, un musée, ses anciennes amours, ses vieux copains, une bouteille et un terrain vague, mais rien ne peut atténuer son angoisse. Il a 53 ans — l'âge de Petri à sa mort en 1982, triste coïncidence — et il n'est pas éternel. Le film se terminera là où il avait commencé, avec entretemps un sursaut de lucidité cruelle quant à la futilité de l'existence et sa propre solitude. C'est Petri chez Antonioni, en quelque sorte. Il retourne à son travail, seul dans cette société.
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