Après avoir tant entendu parler de Rainer Werner Fassbinder, une des principales figures du « nouveau cinéma allemand », je me lance enfin dans le visionnage de ses longs métrages. Me voilà donc assis sur mon canapé, prêt à découvrir « Les Larmes amères de Petra von Kant », adaptation de la pièce de théâtre éponyme écrite par Fassbinder lui-même.
Face à cette autoadaptation, la chose qui me frappe d’emblée, c’est que nous ne sommes pas sur du théâtre filmé. Ne sachant pas à quoi m’attendre de la part du réal allemand, quelle bonne surprise de voir un dispositif cinématographique aussi marqué. Après tout, ça n’est pas si étonnant, puisque le mouvement compte parmi ses influences la nouvelle vague française. Même si, comme pour une pièce de théâtre, nous avons affaire avec de longues scènes de dialogues, très souvent filmées en plan séquence, la caméra ne sera jamais neutre (d’ailleurs, peut-elle l’être vraiment ?). Entre caméra fixe, amples panoramiques et léger travelling, toute la panoplie des mouvements de caméra semble être utilisée. Loin d’être invisible, cette idée de la mise en scène me plaît tout particulièrement. Pour le dire de manière triviale, bon dieu que ça a de la gueule !
Tout ce soin donné à la forme n’est absolument pas synonyme d’un délaissement du fond. Le film nous propose une exploration de l’âme humaine des plus cinglantes. C’est bien la cruauté de son personnage principal qui va ressortir pendant ces deux heures. Petra von Kant représente tout ce que l’on pourrait détester, et pourtant le réalisateur choisit de nous immerger dans son regard, jusqu’à tout faire pour nous amener à ressentir de l’empathie pour cet être haïssable. Reclue dans sa tour d’ivoire, Petra semble vivre isolée, seule avec son assistante « Marlene », qu’elle prend un malin plaisir à torturer. Cette torture sera bien évidemment morale, Petra ne s’abaisserait pas, dans toute sa splendeur, à quelconque violence physique. Toutes les bassesses d’esprit y passeront. La pauvre Marlene ne semble plus avoir la moindre personnalité, et à voir ce maquillage très blanc qu’elle arbore, je ne peux m’empêcher de la percevoir comme un spectre au sein de cette tour maudite. Mais malgré cet aspect fantomatique, sa présence est bien réelle. Elle semble toujours intégrée au temps ou à l’espace, qu’elle soit dans le champ ou non. On pourra par exemple l’entendre à travers les sons d’une machine à écrire en hors champs ou alors en arrière-plan, lors de la confection du patron d’une robe, toujours attentive à ce qu’il se passe au premier plan. Elle saura également jouer le rôle d’un marqueur temporel, lorsque par exemple elle aura la charge de la préparation du thé. Cette confection marquera bien le début et la fin de la scène. C’est assez amusant, car si le film est extrêmement verbeux, on remarque que même le muet joue un rôle essentiel.
Dans cet environnement très morbide apparaitra un ange blond, Karin, que Petra remarquera dés le premier instant. Alors que nous savons déjà, par le biais d’une discussion antérieure, son désir pour le sexe féminin, Petra sortira ses griffes dès les premières interactions. Le film va alors se transformer en duel des plus malaisants. La nouvelle victime potentielle de Petra va se métamorphoser en réelle prédatrice, et la toute-puissance de Petra va progressivement se voir réduite à néant. C’est à ce moment que Fassbinder va modifier sa mise en scène pour présenter Petra comme la victime, non plus comme l’agresseur. Ce changement de ton et de jeux est tout à fait génial, et nos perceptions seront mises à rude épreuve. Nous savons que nous détestons profondément cet horrible personnage qu’est Petra. Pourtant une partie de nous-même, aussi petite soit-elle, sera amenée à ressentir une certaine compassion. On sent que le film joue avec nos perceptions, notre regard, et nous le laissons faire avec grand plaisir.
Il y aurait encore tellement de choses à dire sur ce film, mais cela nécessiterait plusieurs visionnages, et beaucoup de temps pour tout analyser, décortiquer. Même si l’exercice est alléchant, je ne pense pas avoir le temps et l’énergie pour m’employer à cette tâche, préférant me diriger vers de nouvelles œuvres de cet artiste. Oh que j’ai hâte de découvrir le prochain long métrage de la sélection, à savoir le fameux « Tous les autres s’appellent Ali », qui semble rencontrer un succès tout particulier sur Senscritique.