Mathias, interprété par Emmanuel Salinger, est un jeune homme qui rencontre dans le train un policier qui le menace, fouille ses affaires et lui fais passer un interrogatoire musclé. Lorsqu’il rentrera chez lui et qu’il videra ses affaires, il se retrouvera avec une tête coupée momifiée. Qui l’a mise dans sa valise, pourquoi sa valise à lui, et pour quelle raison ?
Ce pitch de départ va permettre à Arnaud Desplechin d’accoucher d’une œuvre à la fois très singulière et intéressante. A travers un récit labyrinthique, Mathias va parcourir un monde où tout le monde s’observe et se juge. Ce qui est amusant, c’est que ce sentiment d’oppression viendra à la fois du monde très bourgeois auquel il semble être intégré (sans être à aucun moment à l’aise), et de la DGSE, via son colocataire, jeune recrue du service étatique. Le seul endroit où il semble pouvoir respirer est son laboratoire, ou il profitera d’être étudiant en médecine légiste pour disséquer la tête momifiée, dans l’espoir de comprendre à qui elle appartient.
Desplechin va à travers ce récit questionner la mémoire des morts dans un contexte post guerre froide. Glaçant, le film reste en tête par sa mise en scène et une écriture très particulière, aux idées foisonnantes. Par exemple, nous sommes à de nombreuses reprises sans réelles informations de temporelles, ce qui nous perd un peu, progressivement, à mesure que l’obsession de Mathias pour cette tête grandit. Nous serons raccrochés via des bribes d’informations dans des dialogues, toujours minutieusement distillées.
Ce qui m’intéresse tout particulièrement dans ce long-métrage, c’est que Desplechin ne choisit pas entre film de genre et film dramatique. Il arrive à intégrer son récit d’espionnage au sein d’une mise en scène de la bourgeoisie parisienne, pour un résultat délicieux. C’est le type de film qui, sans crier gare, passe d’une scène de fratrie questionnant la place de la famille dans nos vies, à une scène d’analyse de tissu prélevé sur le crâne. D’ailleurs, concernant ces scènes de travail de médecine légale, j’ai pu penser à certains moments à ce que proposait Friedkin dans les scènes hospitalières de l’Exorciste (par leur aspect quasi documentaire). Le long métrage proposera ces va-et-vient de genre tout le long des 2h19.
Je ne connaissais que très peu Arnaud Desplechin, n’ayant vu que son « Jimmy P. » lors de sa sortie en 2013. Mais alors que le générique de fin défilait sur mon écran, je n’ai pu m’empêcher de penser que je venais de voir une œuvre réellement puissante, qui va me rester en mémoire pour un bon bout de temps. Ça m’a vraiment fait plaisir de ressentir une réelle volonté de la part du cinéaste de proposer un cinéma nouveau, que ça soit par sa mise en scène ou son écriture. Avec « La Sentinelle » (et malgré les 30 ans qui me sépare de la sortie en salle), j’ai vraiment eu le sentiment de voir émerger un réalisateur ambitieux et talentueux, qui cherche dès son premier film à marquer l’histoire du cinéma français.