Depuis La recherche du temps perdu, impossible d'utiliser le prénom Albertine sans renvoyer immédiatement à Proust, c'est ainsi. Proust est lui-même associé spontanément au milieu mondain bien sûr - ce qui explique la réticence de beaucoup à se plonger dans l'oeuvre.


Le milieu mondain du Paris des années 60, voilà le sujet de ces lions qui sont lâchés. Les lions, ce sont bien sûr les hommes, et ils sont lâchés sur Albertine, ingénue comme toute bonne provinciale qui se respecte. Le titre s'avère ironique car les lions ne vont pas donner beaucoup de coups de griffes...


Tout juste se dévorer entre eux, si l'on élargit la communauté des lions à tous les adeptes, hommes ou femmes, de ce milieu snobinard.


Ce qui amuse (un peu), c'est l'inversion des rôles habituels : c'est l'ingénue qui est en demande d'étreintes purement sexuelles sans parvenir à ses fins, toute splendide que soit la créature, qui n'est pas sans évoquer Brigitte Bardot. Celle-ci avait dû, sagement, décliner l'offre.


Car le film est une bouse. On peine à croire que l'auteur de cette déjection soit le même que du Clan des Siciliens ou de Un singe en hiver. On ne peut plus se fier à rien. Pas non plus aux acteurs, qui rivalisent de cabotinage et de surjeu : Danielle Darrieux réalise une prestation digne d'un atelier de théâtre amateur, multipliant les gestes et les attitudes clichés (oui, la même actrice que celle de Madame de, de Max Ophuls) ; Jean-Claure Brialy est au diapason, ridicule de bout en bout (sur le même type de sujet et de personnage, on le préfèrera ô combien dans Les Cousins de Chabrol) ; Lino fait du Ventura, le type bourru mais qui a un bon fond, galant mais autoritaire avec "les dames" ; Cowl fait du Darry, c'est-à-dire qu'il parle très vite ; Claudia Cardinale roule des yeux à qui mieux mieux, surjouant pour être au diapason ; Michèle Morgan est un poil plus sobre mais n'enchante pas réellement... Bref, ce truc est un supplice, d'autant plus que tout ce beau monde braille en permanence (ma compagne m'a demandé 3 fois de baisser le son !).


Audiard n'est pas non plus au mieux de sa forme : en dehors de quelques vacheries bien tournées, l'ensemble n'est pas brillant. On a même droit à quelques répliques reflétant le machisme ambiant de l'époque. Exemple, en substance : "on admet bien qu'une femme prenne plaisir à se regarder dans un miroir, pourquoi n'accepterait-on pas qu'une homme se plaise à montrer son esprit ?" Pour l'élégance vestimentaire, on regrette cette époque, pour d'autres choses un peu moins...


Quelques scènes parfaitement ratées, comme la balade en voiture à toute bringue, tellement mal faite qu'on ne peut pas y croire une seconde. Pas plus qu'au gros plan sur un bouton manquant dans une interview télévisée ! Mais surtout, beaucoup de mauvais bavardage. La chose a très mal vieilli : on se croirait un peu à Au théâtre ce soir, pour ceux à qui cela parle...


La chute : la jeune ingénue qui rêvait de galipettes reviendra finalement vers son mari, pas si mal que ça tout bien considéré. Tous les mêmes, sauf papa !


On trouvera çà et là une ou deux scènes drôles (Ventura qui rédige une ordonnance sans prêter attention aux braillements de Danielle Darrieux : sa sobriété face au délire de la snobinarde), quelques beaux plans (ceux du début, cadrés de façon insolite, ceux dans les escaliers à la fin, bien éclairés et filmés), de quoi ne pas sombrer en-dessous de 5. De justesse.


Probable que tout ce beau monde, là-haut, s'il y a un là-haut, rougit encore de s'être commis là-dedans. Soyons positif : ce sont aussi les nanars qui permettent d'apprécier, par contraste, les grands films. Peut-être les acteurs se disaient-ils la même chose ?

Jduvi
5
Écrit par

Créée

le 13 janv. 2021

Critique lue 223 fois

Jduvi

Écrit par

Critique lue 223 fois

D'autres avis sur Les lions sont lâchés

Les lions sont lâchés
Maqroll
1

Critique de Les lions sont lâchés par Maqroll

Quelle daube ! Lino Ventura n’a jamais été aussi mauvais, Michelle Morgan aussi quelconque et Claudia Cardinale aussi insignifiante… La mise en scène est d’un académisme antinomique et le propos...

le 6 avr. 2015

4 j'aime

Les lions sont lâchés
Plume231
2

Les Lions sont certes lâchés... mais ils ne sont pas du tout en forme !!!

Claudia Cardinale (Bellissima...!!!), Lino Ventura, Jean-Claude Brialy, Danielle Darrieux, Michèle Morgan et Darry Cowl au casting, Michel Audiard aux dialogues, le solide Henri Verneuil derrière la...

le 12 févr. 2015

4 j'aime

2

Les lions sont lâchés
Boubakar
4

Libertine Albertine.

Il y a une expression désuète qui s'appelle "Monter à Paris", dans le but de réussir... mais dans quoi ? C'est en gros l'histoire d'Albertine, une jeune femme jouée par Claudia Cardinale qui, lassée...

le 18 déc. 2018

2 j'aime

Du même critique

R.M.N.
Jduvi
8

La bête humaine

[Critique à lire après avoir vu le film]Il paraît qu’un titre abscons peut être un handicap pour le succès d’un film ? J’avais, pour ma part, suffisamment apprécié les derniers films de Cristian...

le 6 oct. 2023

21 j'aime

5

Le mal n'existe pas
Jduvi
7

Les maladroits

Voilà un film déconcertant. L'argument : un père et sa fille vivent au milieu des bois. Takumi est une sorte d'homme à tout faire pour ce village d'une contrée reculée. Hana est à l'école primaire,...

le 17 janv. 2024

17 j'aime

3

Gloria Mundi
Jduvi
6

Un film ou un tract ?

Les Belges ont les frères Dardenne, les veinards. Les Anglais ont Ken Loach, c'est un peu moins bien. Nous, nous avons Robert Guédiguian, c'est encore un peu moins bien. Les deux derniers ont bien...

le 4 déc. 2019

17 j'aime

10