Joe tente (et réussit malgré tout)
Les dessins animés de la Warner sont violents. C'est ce qui fait leur singularité. Là où Disney joue sur une certaine importance héroïque de son personnage principal, le plaçant dans une histoire construite "début-fin" jouant sur des comiques de situation et de répétition amenant l'extravagant, la Warner passe le plus clair de son temps à démolir ses personnages, à bâtir des arènes filmiques pour y organiser de joyeuses boucheries. Non pas qu'il n'y ait jamais de "héros" dans leurs animés, mais plutôt que le "héros" prend souvent la place du bourreau et que l'affection du spectateur se trouve parfois bancale, entre vénérer un célèbre connard et adorer une éternelle victime. En ça, la Warner se trouve être l'héritage direct de Tex Avery, un bonhomme qui a par ailleurs créé de ses mains la plupart de ses illustres stars, de Bugs Bunny à Daffy Duck en passant par Elmer Fudd. Des dessins animés où l'extravagant n'est qu'un tremplin vers un impossible constamment repoussé.
Chez Disney, quand une voiture tombe d'un précipice, on rit de voir un personnage sauver sa peau en s'éjectant au dernier moment en trottinant un moment dans les airs avant de retomber sur la tronche et de rebondir trois/quatre fois sans autre heurt. Chez Warner, une voiture tombant d'un précipice peut s'arrêter à cinq centimètres du sol à cause d'une panne d'essence, nous montrant un personnage rassuré et heureux, avant de s'écraser à terre dans une déflagration nucléaire sous une caisse de TNT de la taille d'un building. Chez Warner, on a le rire sadique.
Putain mais pourquoi j'écris tout ça moi ? (vite trouver une excuse logique).. Et bien parce que c'est un peu l'esprit que l'on retrouve dans le cinéma de Joe Dante au quotidien. Un cynisme enfantin, développant les pellicules d'un gamin turbulent, se permettant bien souvent un regard sarcastique sur un monde dont il semble s'évertuer à s'arracher dans ses histoires sorties de l'esprit fougueux d'un gosse rebelle, crachant à la gueule de ses parents/supérieurs.
Joe Dante était fait pour réaliser un nouveau film du genre, rendant hommage à toute une culture américaine d'un dessin animé au comique grinçant. Et hommage il rend, en bon amoureux du genre et créateur d'éponges à références de séries B qu'il est depuis ses débuts, rejeton de l'industrie Corman dont le cinéma suinte ici à chaque instant, manipulé frénétiquement par ce marmot tempétueux.
Alors non, on ne retrouve pas ici une seconde la fabuleuse ambiance 50's qu'avait su façonner Zemeckis pour Roger Rabbit, non on atteint pas même ici le potentiel cartoonesque délirant d'un succulent Gremlins 2 ou même d'un Small Soldiers et non, ce "Looney Tunes passent à l'action" est très loin d'être parfait, et ce, particulièrement parce qu'il est loin de se révéler aussi personnel qu'on le voudrait. Malgré les nombreuses références habituelles dont Dante fait usage si souvent (Batman bien-sûr mais aussi Robby le robot, "Fiend without a Face", "It Came from outerspace" et un tas d'autres savoureux clins d'oeil aux films de SF/fantastique de l'âge d'or, couronnés par un caméo de Corman), on sent un montage de l'ensemble manié et remanié pour produire avant tout un pur film pour enfants, ce qui laisse quelque peu perplexe quand on sait que le créateur des Mogwai tient la manette.
Mais c'est sans compter sur la hargne enthousiaste et passionnée du bonhomme, et c'est là que le film rattrape son retard, bouscule les craintes et comble les attentes. Joe Dante s'éclate et ne s'arrête pas une seconde, plongeant dans cet univers de joyeuse débauche dessinée pour jouir d'un monde sans limites. Aucun temps morts ici, et les amoureux du lapin pimenté et du canard renfrogné auront leur compte tant le réalisateur parvient à allier son amour pour le cinéma et ses délires personnels à ces personnages, semblant le temps d'un film avoir été créés pour se calquer sur sa créativité en ébullition. Et de ce joyeux bordel ressortent quelques scènes qui valent vraiment le détour, que ce soit dans la reconstitution d'une célèbre et sanglante scène de douche en noir et blanc jusqu'au milieu du désert entre les détonations d'un Coyote déprimé, du Louvre, dans une cavalcade démente à travers les galeries, entrant et ressortant des tableaux comme de portails multidimensionnels jusqu'aux confins de l'espace trouvant son nouveau héros, il serait con de se refuser un tel moment de cartoon bien mené et inventif, maniant parfaitement les ficelles du genre, surtout après le très vide et soporifique Space Jam...
Affublé d'un Brendan Fraser au sourire improbable et aux mimiques hyperactives semblant l'avoir prédestiné à un tel rôle, voilà un film que les plus "J'suis-trop-vieux-pour-ces-conneries" d'entre vous pourront toujours balancer à leurs gosses (d'un goût bien plus raffiné qu'eux) pour les calmer une heure et demie, en espérant que d'autres sauront retrouver dans cette énorme mascarade explosive un peu de l'amour que Joe Dante a toujours porté à tout ça et combien il parvient, malgré des Studios avides et oppressants, à le magnifier ici de ses quelques pointes de cynisme bien à lui.