Depuis le succès de Wayne's World en 1992 , la hargne punk de Penelope Spheeris s'est largement diluée dans la guimauve de comédies familiales hollywoodiennes toutes plus insignifiantes les unes que les autres ( Les Chenapans - Les Allumés de Berverly Hills – Supersens) la conduisant jusqu'à réaliser, comble du conformisme et du renoncement, des téléfilms de noël (Le Père Noël Est tombé Sur La Tête), mais bon j’imagine qu'il faut bien travailler. En tout cas il est bon de se replonger dans Suburbia, premier long métrage de fiction de la réalisatrice dans lequel elle filme avec sincérité, authenticité et presque sans compromis une bande punks californiens au début des années 80.
Suburbia nous raconte donc l'histoire d'un adolescent qui fugue du domicile familiale pour s'éloigner un temps de sa mère célibataire, maltraitante et alcoolique. Il est recueilli par une bande de jeunes punks qui squattent une maison abandonné dans un recoin de banlieue pavillonnaire et y découvre une famille de substitution. Entre larcins, conneries, provocations et violence cette bande se retrouve de plus en plus souvent confrontée à la méfiance et la vindicte des autres habitants du coin.
Issus elle même de ce milieu qu'elle fréquente pour la réalisation d'un documentaire intitulé The decline Of Western Civilization en 1981, Penelope Spheeris va puiser dans d'innombrables expériences personnelles et anecdotes pour construire un récit qu'elle souhaite transpirer de la plus grande sincérité. La réalisatrice et scénariste souhaite porter à l'écran une chronique la plus honnête et réaliste possible sur ses jeunes se retrouvant une identité aux carrefours de leurs solitudes, leurs marginalités et leurs profonds désirs de révolte. Afin de pouvoir finir de financer son film la réalisatrice va pourtant devoir injecter sous l'impulsion de ce vieux briscard de Roger Corman deux trois ingrédients qu'elle n’avait pas forcément prévus au programme à savoir du sexe, de l'action et de la violence. On ne va pas se mentir certains aspect se retrouvent alors sur l'écran avec une relative gratuité, mais Penelope Spheeris a aussi l’intelligence de les intégrer pour alimenter non seulement la logique de son intrigue mais aussi les zones d'ombres ambivalentes de ses personnages. On passera sur la séquence montrant deux types discuter devant une hôtesse les miches à l'air pour se concentrer ce qui va finalement servir le film. Suburbia outre le portrait de cette jeunesse marginale se construit sur une mécanique de surenchère de violences et de provocations entre deux camps conduisant fatalement à un drame. Le fait de montrer cette violence n'est donc pas vraiment hors sujet d'autant plus que selon celui qui en sera l’instigateur elle provoquera non seulement un désir de vengeance mais creusera un gouffre de plus en plus abyssale entre deux camps ne trouvant que par la violence l'expression du rejet de l'autre. La gratuité un peu crasse de la nudité portée à l'écran sera symbolisée par cette scène durant laquelle une jeune fille se fait arrachée ses vêtement lors d'un concert sous les quolibets du public. Cette séquence qui divise (Hello Miss Candygirl et Mister Torrente !) n'est pas pour moi totalement hors sujet même si j'aurais aimé qu'elle arrive un peu plus tard dans le déroulement de l'intrigue. Pour moi cette scène évite l’angélisme de la description de cette bande de jeunes punks comme étant uniquement des paumés sympathiques, exubérants mais finalement pas bien méchants. Mettre en lumière c'est souvent révéler les ombres et je trouve assez honnête que cette séquence vienne montrer que cette révolte violente et libératrice puisse aussi déboucher parfois sur des abus inacceptables. Malheureusement comme cette séquence arrive en tout début de film on a ensuite un peu tendance à l'oublier pour se focaliser sur un antagonisme plus confortables entre des jeunes désœuvrés et des méchants conformistes blancs adeptes de l'auto justice.
Pour le reste Penelope Spheeris réalise quasiment un sans faute et nous plonge dans cette chronique douce amer de mômes perdus traversée de purs et sincères moments d'émotion. Car cette bandes de jeunes marginaux et paumés va s’avérer super attachante et terriblement touchante en cachant sous l'exubérante provocation de leur looks, des blessures, des fragilités et des comportements qui suggèrent que la plupart ne sont pas forcément sortis de l'enfance ou qu'ils en ont été extirper trop tôt aux forceps de situations familiales dysfonctionnelles. Crise économique, mère alcoolique, beau père violent et incestueux, traumatisme de guerre larvant la cellule familiale, les gosses qui compose cette étrange famille qui s'entasse dans un taudis insalubre remplis de cafard comme pour mieux se réchauffer entre eux sont tous à danser ivre de vivre au bord d'un précipice existentiel. Et si dehors ils se heurtent aux regards des autres, se cognent à l’incompréhension et s'écorchent au rejet, une fois ensemble dans leur cocon de fortune ils s'emmerdent en solidarité, s'amusent de blagues pourris, regardent la télévision, se serrent les coudes, se racontent des histoires pour s'endormir, dorment avec une vielleuse Mickey et tentent de vivre dans un semblant de structure familiale. Penelope Spheeris a choisi de faire tourner des jeunes non professionnels trouvés aux hasard de concerts punks et de rencontres, parmi eux on retrouve Flea le futur bassiste emblématique des Red Hot Chli Peppers et d'autres comédiens et comédiennes très convaincants comme Jennifer Clay fragile et bouleversante dans le rôle de Sheila ou Timothy O'Brien et Chris Pedersen foutrement charismatiques en chef de meute. La construction du film est certes convenu mais absolument imparable et Penelope Spheeris ayant pleinement réussi à nous faire aimer ses protagonistes, on se retrouve avec un final aussi bouleversement que inéluctable achevant de faire de Suburbia un film bien plus important que tout le reste de la filmographie de sa réalisatrice.
Implacable, émouvant, sincère et brut Suburbia est un plongée au cœur d'une jeunesse paumés qui extériorise jusqu'à l’excès les blessures infligés par le conformisme hypocrite de vies familiales et d'une société sans éclats. L'évidente sincérité chevillée au cœur de Penelope Spheeris sur ce film transpire à l'écran et touche direct au cœur.