Qu’il traite des samouraïs ou des yakusas, Gosha ne semble pas dévier d’une vision du monde résolument pessimiste. A chaque fois, il s’agit d’isoler dans la foule des serviteurs d’un ordre, noble ou criminel, des hommes d’honneur qui voient leur idéaux se fracasser sur l’autel des compromissions et du pouvoir tentaculaire. Manipulation, mensonges, accointances entre le syndicat du crime et le pouvoir étatique composent cette nouvelle partition d’une symphonie noire.
Si le film évolue par rapport à Hitokiri ou Les trois samouraïs hors-la-loi, c’est dans un traitement plus radical encore de l’image, Gosha accentuant l’emphase de certaines séquences, au mépris, parfois du rythme général. Verbeux et laborieux dans l’établissement de sa situation initiale, le film s’ouvrait pourtant sur des scènes muettes assez saisissantes pour présenter les protagonistes à leur sortie de prison, et la mise à mort de certains d’entre eux, ainsi qu’une séquence d’amour comme seuls les japonais savent en créer, mélange troublant d’érotisme, de violence et de larmes. Enchevêtrant des discussions à rallonge pour aboutir à une intrigue finalement très conventionnelle, le film est trop long pour pleinement convaincre. Il n’en demeure pas moins assez passionnant dans l’éclairage qu’il propose sur l’éternelle tragédie de l’homme face à la faiblesse cruelle de ses pairs.
Deux éléments essentiels contribuent à marquer les esprits.
La musique, tout d’abord, véritable protagoniste du film, souvent intradiégétique, écrin pour les scènes de combats ou d’assassinat. Tout le récit converge vers une fête qui doit célébrer la concorde entre deux clans, notamment par un mariage arrangé, et brisant bien entendu le cœur de ceux qui s’aiment sincèrement. Le défilé, lancinant, accompagne de façon quasi hypnotique tout le dernier quart du film, le rythme des percussions devenant un signe de victoire puis de défaite. Dans les scènes les plus violentes, où les combats sont dilatés à l’extrême, la musique prend souvent le pas sur la bande son, reléguant au second plan les corps mutilés dans un contrepoint troublant, à la fois esthétique et profondément désespéré. Il n’est pas innocent que le décor majeur des Loups soit cette plage sur laquelle plusieurs épaves échouées ne cessent de mourir au gré du ressac : Gosha fait subir le même traitement à la majorité de ses personnages.
Le deuxième élément est le rôle assigné à la femme, qui prend une importance capitale. Le personnage de la tueuse à l’ombrelle, notamment, supplante quasiment tous les yakusas et chefs de clans, dans son mutisme méthodique et implacable. La plus belle scène du film, le meurtre d’un homme par celle-ci et sa comparse, occasionne un trio amoureux où éros et thanatos se mêlent dans une osmose parfaite, souligné par un traitement du rythme et de la musique qui en font une séquence en tous points virtuose.
Le lent crescendo, cette chorégraphie déraisonnable des corps ensanglantés et de la fin de tout ordre moral finissent par éclipser les débuts pesants du film, et confirment le talent singulier de Gosha, qui infuse sur le XXème siècle la noirceur qu’on circonscrivait jusqu’alors au passé fondateur du pays.