[Publiée le 31 Janvier 2024 sur Un Certain Cinéma]
Les Lueurs d’Aden fait partie de ces films dont l’autour semble tout aussi intéressant que l’œuvre en elle-même. Ce n’est pas une excuse, ni une béquille, bien au contraire, c’est une connaissance particulièrement précieuse, un outil de compréhension des enjeux d’une œuvre dont l’origine surprend, le Yémen, pays dont la production cinématographique serait inexistante sans la présence de Amr Gamal et de ses proches.
Si le cinéaste ne se cache pas d’avoir travaillé à la télévision malgré une aversion pour celle-ci, le personnage du père, Ahmed, au sein de ce récit s’y refuse nettement, du moins en ce qui concerne le domaine privé. Néanmoins, la véritable héroïne du film, ici, est Isra’a, une femme enceinte piégée entre une réalité sociale qui ne lui permet d’avoir un quatrième enfant et une conviction religieuse assez forte pour la rendre rétissante à l’idée d’avorter.
C’est avec une très grande justesse, c’est-à-dire avec la qualité de n’avoir aucun jugement négatif sur quiconque, que le cinéaste Amr Gamal filme ce dilemme, les différents niveaux de croyance perdent le couple du récit dans leurs choix et la presque survie permanente les pousse à bout de leurs forces pour réussir à offrir une vie convenable à leurs trois enfants. La caméra du réalisateur capte cette générosité qui traverse les amis et la famille, tout en mettant la lumière sur les fissures que cette possibilité, ou non, de l’avortement provoque sur le couple.
La réussite de l’œuvre passe aussi par cette volonté presque documentaire de rendre compte de la vie à Aden, le cadre souvent fixe et l’amateurisme des comédiens laissent place à un sentiment d’authenticité, à une impression de réel – au sens documentaire du terme. Les Lueurs d’Aden remplit dans cette optique cette mission première de film témoin d’une ville, d'enjeux sociaux mais aussi religieux, à échelle commune comme individuelle, le tout avec un immense respect pour chaque personnage, indépendamment de ses pensées.
Si la mise en scène n’est en rien révolutionnaire, il ne faut pour autant oublier sa capacité à chercher presque toujours très justement le plan qui documente autant l’aspect fiction de l’œuvre qu’il fictionnalise son aspect documentaire.