Je viens de vous donner le pitch du film.
Un mot sur son titre : Les Magnétiques. Je n'en suis pas fou, je le comprends mal. Fait-il référence aux bandes magnétiques de ces cassettes, dont les CDs ont pris le relais ? Qualifie-t-il des personnes dotées d'un magnétisme propre à attirer et influencer les gens autour d'eux ? Un peu des deux ? Quoi qu'il en soit, comme titre d'un premier long métrage, il y a eu plus mémorable : Les 400 coups ou À bout de souffle, voire Le Beau Serge, auquel un des personnages principaux (Jérôme) m'a fait penser.
Mais le film est bon.
Particulier, intrigant, il retient et interroge. On sent qu'il a du contenu, qu'il y a une réflexion derrière. Il se suit et s'écoute agréablement.
Réalisé, j'imagine, sans grands moyens financiers, pour moi c'est une réussite.
Aucun nom vraiment connu au casting, mais les acteurs habitent leurs personnages. Cinq ou six méritent d'être cités : d'abord les deux frères Philippe / Philou (Timothée Robart), le cadet et narrateur de l'histoire et Jérôme (Joseph Olivennes) l'aîné à qui il s'adresse mentalement. Ils forment avec Marianne (Marie Colomb) le trio amoureux, ainsi qu'un gros morceau, de l'histoire racontée. Marianne est la petite amie de Jérôme mais Philippe en tombe instantanément amoureux. Les trois sont bien, justes, émouvants : vrais. On oublie souvent qu'ils jouent.
Et puis, il y a le père des deux frères, un père de la province profonde, mécanicien garagiste de son état dans un trou perdu, un gros bourg plus qu'une petite ville. Philippe Frécon est parfait dans son rôle ; un bout de dialogue du film me revient, qui sert au cadet de ses fils à le présenter à Marianne quand celle-ci débarque dans la famille : "Maman avait épousé un con". Le père, la cinquantaine avancée, est peut-être un con (un con devenu veuf) mais il aime ses deux fils et, mine de rien, se fait du mouron, à juste titre, pour le plus extrême et révolté des deux : Jérôme, l'aîné.
Un cinquième personnage, que j'ai vraiment bien aimé, apporte une touche d'espoir, de fantaisie, de décontraction, une ouverture hors de ce monde sombre, noir et amertumé, c'est Édouard que joue Antoine Pelletier. Philippe qui, par une chance paradoxale, n'échappe pas au service militaire (on est dans les années 80, au début de la Présidence de Mitterand), le rencontre, vers le tiers du film, à Berlin où ils sont l'un et l'autre casernés. Édouard devient vite le meilleur copain de Philippe et l'accepte ou l'introduit dans l'univers de la radio musicale militaire. En même temps, il met de l'espoir et de la joie de vivre dans la vie de Philippe, lui apporte comme une note de lumière. Il l'ouvre au monde extérieur. Sans lui, l'histoire serait vraiment trop sombre, trop désespérante, trop enlisée dans l'ennui provincial.
Ces cinq-là portent le film de Vincent Maël Cardona. Un sixième personnage, qui n'apparaît qu'épisodiquement, lui apporte aussi quelque chose, en ce sens qu'il représente le monde de ceux qui, comment dire ?, vivent de leur art (à savoir : faire de la musique à la radio, apporter de la joie au monde), qui ont réussi à en faire un métier. C'est Dany (que joue Brian Powell), l'animateur musical de la radio des troupes militaires britanniques stationnées à Berlin-Ouest, à qui Édouard présente Philippe et qui, d'une certaine façon, adoubera celui-ci, lui fera comprendre qu'il a peut-être sa place dans ce monde des émissions musicales Rock /Punk d'alors, qu'il a ce qu'il faut pour s'y affirmer et, qui sait ?, en vivre.
Le service militaire, le Berlin d'alors, Édouard font comprendre à Philippe qu'il y a un autre monde que son trou perdu de province. Le frère aîné Jérôme et la petite amie Marianne, en s'effaçant chacun à sa manière, poussent Philippe à tenter son envol, à rejoindre ses pairs, les bidouilleurs de son de la radio. Le film raconte son passage à l'âge adulte, sa naissance au monde professionnel du son et de la parole.
C'est souvent très bien filmé. Certains plans de campagne sont très beaux. Le climat de cette toute petite ville de province est parfaitement rendu, avec ses décors d'un autre âge, ses papiers peints sinistres, son bistrot de pauvres (qui comprennent les choses en silence). La magnifique scène de sexe et d'amour entre Philippe et Marianne est un miracle de pudeur et d'érotisme. Et la séquence des adieux et du départ, au moment de l'épilogue : sobre et au delà des mots. Quand on voit Philippe s'en aller sur sa mobylette, fragile et décidé, et puis prendre ce train fatigué qui l'emporte vers la grande ville, le coeur se serre : Que fera-t-il de sa vie ?
Et vous voilà, bien sûr, renvoyé à la vôtre ("Et moi, qu'ai-je fait de ma jeunesse ?"), tandis que défile le générique final et qu'un festival de sons des années 80 vous submerge de nostalgie.