Considéré comme étant l’un des chefs de file du mouvement expressionniste, notamment grâce à son Cabinet du Docteur Caligari (1920), Robert Wiene a réalisé des films parmi ceux développant les codes du mouvement de la manière la plus radicale. Parmi ceux-ci, nous pouvons citer Les Mains d’Orlac.
La base de l’intrigue du film annonce déjà quelque chose de propice au fantastique et à l’expressionnisme : un célèbre pianiste, victime d’un grave accident de train, échappe de peu à la mort, mais doit subir une greffe de mains, héritant des mains d’un criminel condamné à mort et fraîchement exécuté. Dans le rôle principal, Conrad Veidt, acteur expressionniste par excellence, qui va tenir ici l’un de ses rôles les plus mémorables. Culpabilité, désespoir, remises en question, paranoïa, Les Mains d’Orlac va raconter la descente aux Enfers du malheureux Paul Orlac, qui ne demandait qu’à exercer son art, et dont le destin ne lui fera pas de cadeau. Comment continuer à jouer du piano avec des mains qui ont volé et tué ?
L’expressionnisme est une affaire de thèmes, tournant notamment autour de l’anxiété du peuple, des mécanismes de la conscience, de l’argent, ou même de la technologie. Mais c’est aussi une affaire de forme, et Robert Wiene est l’un des réalisateurs dont le cinéma adopte le plus une esthétique expressionniste. Ayant réalisé Le Cabinet du Docteur Caligari, considéré comme étant le manifeste du genre, avec ses décors tarabiscotés et son ambiance cauchemardesque, il avait également réalisé Genuine (1920), qui reprenait et développait ces mêmes codes visuels. Dans Les Mains d’Orlac, les décors sont moins extravagants que dans les précédents films de Robert Wiene, mais c’est en les plongeant dans les ténèbres, les rendant presque absents, qu’il poursuit ses expérimentations et qu’il donne une atmosphère tout à fait singulière à son film.
Le cinéaste focalise la lumière sur les personnages ou quelques éléments de décor, le noir et l’ombre dominant la majeure partie des plans du film. Les personnages semblent émerger du néant, comme étant les conceptions d’une conscience, qui serait celle d’Orlac, en proie aux doutes et à la culpabilité. Ce que nous voyons paraît vrai, réel et, pourtant, rien ne nous dit que c’est le cas, au contraire, même. Ce parti pris, radical, appuie alors toute la dimension fantastique du film, certaines séquences isolant Conrad Veidt seul dans l’obscurité, regardant ses mains avec désespoir, se mouvant comme un danseur entraîné dans un ballet infernal. Toute cette noirceur, dans son ensemble, vise également à restituer tous les tourments qui accablent Orlac, à illustrer son désespoir, alors que le monde autour de lui s’effondre.
Quand des cinéastes tels que Fritz Lang et Friedrich Wilhelm Murnau ont contribué au mouvement expressionniste notamment de par leurs approches thématiques, mais aussi en termes d’esthétique, Robert Wiene semble bien être de ceux qui l’utilisèrent de la manière la plus radicale et la plus expérimentale. C’est d’ailleurs probablement avec Les Mains d’Orlac que Robert Wiene fermera sa parenthèse expressionniste, marquée par les Caligari, Genuine et Raskolnikov (1923), points d’orgue de la phase la plus « radicale » de l’expressionnisme, si l’on peut la qualifier ainsi. C’est, en tout cas, une nouvelle oeuvre importante et de qualité de la part du cinéaste, qui nous plonge dans un océan de noirceur et de ténèbres.
Critique écrite pour A la rencontre du Septième Art