Depuis déjà quelques années, je consacre mon dernier week end de novembre, et plus particulièrement, le samedi soir, à une soirée d’épouvante, de fantastique, de fantastico-horrible… enfin vous m’avez compris, à une soirée d’horreur. Vous êtes en train de vous dire que je reporte la fête d’Halloween d’un mois. En un sens, c’est vrai. Mais pour paraître juste, je dédie en général cette soirée comme étant la soirée des derniers films d’épouvante/d’horreur que je regarde dans l’année étant donné que le week end de l’Avent commence ce fameux samedi.
L’année dernière, j’avais ainsi tout d’abord regardé un documentaire sur l’auteur prénommé Richard Bachman de temps à autre (le fameux Stephen King) puis la suite de « Simetierre », « Simetierre 2 » avec l’excellent Robert Patrick notamment (voir ma critique pour plus d’informations).
En cette année 2021, j’ai décidé de visionner « Les autres » d’Amenabar puis « Les mains d’Orlac » de Robert Wiene.
20 ans après, « Les Autres » distille toujours autant un pouvoir de fascination étrange doté d’un final digne de « Sixième sens » de M. Night Shyamalan.
Avec la sulfureuse revenante Nicole Kidman complètement habité par son rôle de mère meurtrie, possessive et autoritaire, cette production Weinstein et Cruise/Wagner peaufine la beauté plastique absolue de la mort. De ce huis clos fantastique, envoûtant et élégant, restera cette histoire hallucinante de fantômes contée par le singulier et sobre metteur en scène Alejandro Amenabar.
Note restant inchangée de ma part pour ce film : 8 sur 10.
Pour revenir sur « Les Mains D’Orlac », ce film possède également un pouvoir de fascination étrange. Mais pas le même que « Les autres ». Si le film de 2001 est garant d’un suspense à couper à couteau, celui de 1924 joue davantage sur les traces de l’horreur et l’extravagance des fameuses mains du personnage Orlac.
J’ai donc vu le film qui a été restauré dans sa version originale en 1995, sept décennies après sa première sortie au cinéma (!!!) en raison de la censure allemande des années 1920, à des séquences jamais intégrées, voire perdues. Film que j’ai bien entendu enregistré sur Arte il y a deux ou trois ans.
Tout d’abord, il s’agit du premier film à être adapté du roman policier éponyme, publié en 1920, de l’écrivain français Maurice Renard. Egalement, il est le premier long-métrage du septième art à présenter le motif des mains avec une volonté propre ainsi que les peurs populaires autour du sujet des greffes, avant même l’invention de cette révolution chirurgicale.
Robert Wiene, le réalisateur, propose une relecture du roman sous un aspect d’épouvante/horreur, une première dans la grande histoire du cinéma. Rien que pour ça, je peux dire qu’il s’agit d’un film inédit et totalement novateur pour l’époque bien que Wiene n’ait déjà tourné son grand chef d’œuvre expressionniste (qui est aussi son premier long-métrage !!), « Le cabinet du docteur Caligari », son premier triomphe. Constat révolutionnaire pour l’époque (les années 1920) qui mérite tous les détours pour « Les mains d’Orlac ».
Synopsis : au Sud de Paris, lors d’un accident de train, un luxueux pianiste du nom d’Orlac perd l’usage de ses mains. Sa femme décide de le faire opérer pour une greffe des deux mains par un éminent spécialiste. Or, il s’avère que ces fameuses mains viennent d’un assassin qui vient d’être exécuté. Orlac va tomber en dépression, ne jouera plus de piano et se verra irrésistiblement attiré par le crime.
Le scénariste Louis Nerz, connu pour cette adaptation des « Mains d’Orlac », permet d’ancrer le film au sein même des années 1920.
Facilité des criminels à exécuter leurs actes, dissimulation des preuves… concernant les actes terroristes, et surtout, peur d’une autre guerre. La scène du train qui déraille et qui prend feu au bout de cinq minutes, le chaos total qui s’ensuit, permet de nous rendre compte de la folie dans laquelle les français vivaient. Et pourtant, le film a été paradoxalement tourné à Vienne. C’est dire l’empreinte qu’a laissé cette 1ère Guerre Mondiale ! Le scénariste, autrichien, n’en mène pas large et nous plonge, tout au long du métrage, dans les peurs et les traumatismes d’après-guerre avec ses jeux de flashbacks (mis au goût du jour par Marcel Carné -« Le jour se lève »- et popularisé par Orson Welles -« Citizen kane »-) et sa stature à adopter un point de vue neutre sur la guerre. Joli coup de chapeau Monsieur Nerz.
Egalement, Monsieur Nerz, avec sa plume délicieuse, fait évoluer et basculer « Les mains d’Orlac » en un conte d’épouvante grâce à ses talents d’adapteur du roman de Maurice Renard. Il nous est raconté des faits et des visions qui nous prennent aux tripes, mais pas trop quand même aujourd’hui. La force de Monsieur Nerz tient grâce à son écriture qui ne faiblit jamais d’intensité et qui nous maintient sous tension permanente jusqu’au final.
Un scénario ainsi brigué par un maître, puisqu’également la psychologie du personnage principal est finement travaillée. Très beau boulot !, Monsieur le scénariste.
Le personnage principal est ainsi incarné par Conrad Veidt.
Une incarnation à fleur de peau pour un jeu d’acteur époustouflant. J’en frissonne encore ! Oui, Conrad Veidt, ce pianiste qui a perdu ses mains et qui s’est vu greffé des mains d’un meurtrier joue un Orlac en dépression, meurtri, en dépérissement permanent. Une partition en or, bluffante, vraiment ! De pianiste virtuose, il devient un mort-vivant torturé, amené à commettre des meurtres. Etourdissant, bluffant, un jeu époustouflant pour un rôle qui a dû lui coller à la peau, assurément ! Et pourtant, sa palette d’acteur est variée puisqu’il a joué dans « Le cabinet du docteur Caligari », la première adaptation à l’écran de « L’homme qui rit » de Victor Hugo (c’est d’ailleurs grâce à Conrad et ce dernier film cité si le Joker de Tim Burton existe aujourd’hui !), « Le voleur de Bagdad », « Casablanca ». Un acteur complet qu’est donc Conrad Veidt dans le monde du septième art. C’est ici une composition viscérale de sa part. Bravissimo !
Pour rester sur le casting, l’on a droit à une belle brochette de seconds couteaux :
- Fritz Strassny, le père d’Orlac, connu par ce rôle.
- Paul Askonas, l’énigmatique serviteur du père d’Orlac, avait auparavant joué dans « Les contes d’Hoffman ». Il est considéré comme le premier acteur à incarner Dracula pour le compte du septième art dans le film hongrois « Drakula halala » qui ne sort finalement qu’en 1923, un an avant le célèbre « Nosferatu ».
- Fritz Kortner, le maître-chanteur d’Orlac, son bourreau, son assaillant, le visage de ses visions. Un méchant d’anthologie qui nous fait vibrer jusqu’aux révélations finales. Convaincant à souhait, Fritz a joué dans « La femme que l’on désire » avec Marlene Dietrich, « Loulou » de Pabst, « Quelque part dans la nuit ».
Concernant l’ambiance des « Mains d’Orlac », il y a bien sûr la musique, omniprésente. Un peu trop même au début du film, un poil lourdingue au milieu et pas très sympa pour le final. Pour résumer, ce n’est pas le fort du métrage que d’avoir insisté sur une musique en concerto d’une heure et demie de Johannes Kalitzke, pour la restauration. Peut être aurait il fallu s’arrêter un peu plus sur le jeu des acteurs de ce théâtre filmé plutôt que d’appuyer ce concerto en mode majeur pendant une heure trente. C’est un peu la mayonnaise qui ne prend pas et je suis sorti des « Mains d’Orlac » avec ce sentiment mitigé car même si la musique accompagne les agissements d’Orlac et de sa famille proche, je me suis senti berné et sorti de ce film d’épouvante qui se transforme en conte onirique avec un semblant de conte assassin qui ne se prend pas au sérieux. Oui, la musique est belle, mais beaucoup trop omniprésente pour nous faire ressentir quelconque émotion. Peut être était-ce la condition sine qua non pour faire perdurer ce métrage dans le temps que d’avoir une musique fortifiante et électrisante de bout en bout qui m’a laissé pantois à cause du contexte et du mouvement expressionniste dans lequel « Les mains d’Orlac » doit perdurer. Je dirais dommage sans connaître les motivations du réalisateur Wiene et des personnes qui ont conduit la restauration du film.
Toujours sur l’ambiance, le Noir et Blanc est saisissant et les jeux de couleurs et d’ombres sont aveuglant, percutant. Mis en avant avec une grâce dont Fritz Lang (notamment !) reprendra les codes, les contrastes lumière-obscurité-ombre sont à couper au couteau ! L’on atteint le summum du cinéma expressionniste avec un tel travail d’orfèvre. L’histoire est mise en lumière avec une telle minutie que l’épouvante grandit au fur et à mesure qu’Orlac découvre sa vérité. Un véritable chantier qui devient lumière grâce au travail majestueux et somptueux des chefs opérateurs qui nous plongent littéralement dans ce cinéma des années 1920, entre la 1ère et la 2nde Guerre Mondiale. Les peurs d’Orlac, ses visions (avec la tête moribonde d’Askonas), les meurtres auxquels il assiste, les jeux d’ombre sur les créanciers, la stature de son père (l’inévitable Fritz Strassny), … tout cela concourt à la réussite des « Mains d’Orlac » à devenir une référence en terme d’ambiance. Pour cela, toutes mes félicitations à l’équipe de direction de la photographie. Günther Krampf -débutant sur « Nosferatu », il travaillera en Allemagne et collaborera avec Hitchcock par deux fois (« Bon voyage » et « Aventures malgaches »)- et Hans Androschin -resté sur le territoire allemand lors de la montée du nazisme et de l’Occupation de l’Autriche par l’Allemagne, il deviendra maître du son du département cinéma de la Wehrmacht- forment un duo étincelant concernant l’orchestration lumineuse de ces jeux de lumière qui visent l’épouvante pure et dure. Epouvantablement vôtre, messieurs.
En étant muet, « Les mains d’Orlac » contribue à ce sentiment de peur concocté par l’extravagance d’un metteur en scène finalement hors norme : Robert Wiene.
Au détriment de l’histoire, le réalisateur de « Raskolnikov » (adapté de la littérature russe) se concentre sur un jeu d’acteur époustouflant (Conrad Veidt), sur une ambiance digne des années 1920 (les jeux lumineux entre acteurs) avec, en toile de fond, la décadence des hommes vis-à-vis de leurs prochains.
Le metteur en scène du « Chevalier à la rose » (tiré de l’opéra éponyme de Richard Strauss) tire à boulets rouge sur la société moderne (en particulier, la chirurgie) pour mieux mettre en avant un divertissement sur les dérives totalitaires que la 2nde Guerre Mondiale va engendrer.
Celui qui a tenté avec Jean Cocteau le remake de son premier film (« Le cabinet du docteur Caligari ») signe un rêve prémonitoire sur les lendemains catastrophiques de la dernière guerre mondiale et conclut un pacte avec Lucifer en forgeant le mythe expressionniste à travers le regard obnubilé et envahissant du regretté Conrad Veidt.
Matins désenchantés certes aujourd’hui pour un regard lucide de Robert Wiene sur son époque. Un metteur en scène unique qui a, avec « Les mains d’Orlac », signé un chef d’œuvre de l’horreur, dans les deux sens.
Sorti de son contexte et avec cet aspect cheap & kitsch (par l’ambiance donnée et un jeu d’acteur très théâtral), « Orlacs Hände »(1924), considéré à l’époque comme cinéma fantastique et film autrichien les plus acclamés par la critique, restera ce classique du film d’horreur, qui a ainsi engendré deux remakes -un avec Peter Lorre, et un autre avec Christopher Lee-, pour une source d’inspiration pour nombre d’autres films avec, comme curiosité, « La main » d’Oliver Stone.
Pianistes passionés, passez votre tour. Spectateurs, dormirez-vous avec la lumière allumée ce soir ?