Little Miss Mudshine
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"Les Merveilles", c'est d'abord une ambiance, proche d'une fin du monde, et un décor, cette ferme au milieu de nulle part, un village et, enfin, une île étrange, énigmatique où la vie rurale s'exporte et s'expose. De ces deux éléments, Alice Rohrwacher se sert à merveille pour tisser la toile de fond de son film. Autre ambiance, l'apiculture en famille et ses abeilles dont Gelsomina et son père s'occupent pendant que les plus petites des quatre sœurs jouent. On voit alors des ruches pleines d'abeilles qui bourdonnent ou qui meurent, le miel abondant déversé sur le sol, les corps piqués, les bras plein de miel et cette attirance merveilleuse des abeilles vers leur création. Engluée, cette famille retirée du monde l'est pour sûr. Dans une fin d'été languissante, Alice Rohrwacher filme les quatre filles, leur mère, leur tante et surtout leur père, face à deux menaces sourdes : le monde "réel" et/ou moderne et l'adolescence du personnage clef des "Merveilles" : Gelsomina.
Ici, on parle plusieurs langues : l'allemand du jeune "délinquant" venu, muet, faire ses preuves auprès de la famille, l'italien, c'est là qu'ils vivent tous, et aussi le français quand le couple veut parler sérieusement, s'offrir un peu d'intimité dans ce lieu où personne ne commande vraiment. Il y a le père, bien sûr, corps maigre, mais véritable ogre qui puise les forces de chacun tout en prônant l'autonomie et le lien avec la nature ou Gelsomina, toujours, propulsée dans le rôle de "chef de famille" pour les services sociaux. On y siffle aussi, c'est en tout cas comme ça que s'exprime Martin, il ne parle pas, il a un don merveilleux qu'il exploite quand il est décidé.
La caméra d' Alice Rohrwacher s'infiltre au coeur de cette famille, mais se focalise très souvent sur les corps et les visages des protagonistes, celui de Gelsomina en premier. La jeune fille grandit, défit, sans haine ni rejet, la vie qu'on lui a jusqu'ici offert. Elle n'est pas contre un départ et rêve d'inscrire sa famille aux "Pays des Merveilles", un jeu télévisé qui peut leur rapporter de l'argent, si nécessaire à la réhabilitation de leur lieu de travail, mais surtout lui permettre de rejoindre une idole aperçue fugacement : la présentatrice du show aux cheveux blancs comme l'écume. Dans ce rôle étrange, énigmatique, Monica Belluci aurait pu être ridicule, mais elle est, comme tout le reste, fantasque et décalée. Elle attire le regard. Gelsomina y croit, pour cela elle dresse des abeilles pour un petit numéro et devient l'ami du jeune garçon venu dans a maison. Il y a bien un petit sentiment qui naît entre eux, il permet juste à Gelsomina de désirer encore plus un ailleurs, une autre vie.
La force du film est de filmer des détails, des humeurs, des ressentis. On débarque dans le film en pleine nuit et l'on découvre la famille à faible lumière. Au milieu de la nuit justement, des petites filles crient à leur mère qu'elles veulent manger des crêpes. Seule Gelsomina semble s'en offusquer. Chacun cherche autre chose, pourtant, dans cette ferme digne des contes où un père n'a que des filles qu'il élève comme des diamants précieux qu'il met vite au travail, il y a quelque chose d'irrésistible qui fait toujours revenir les personnages. Ainsi, après un intermède hors du lieu central, chacun s'y retrouve comme aimanté. A l'image des abeilles qui bourdonnent près de leur ruche, tout autant prison qu'espace de liberté, les membres de cette famille, Gelsomina en tête, demeurent dans cet immuable monde en apparence, mais dont on sait la fin prochaine et que la caméra capte avec la lenteur due aux moments suspendus et la férocité d'un passage forcé vers autre chose qui se jouera loin du film.
Cet utilisateur l'a également ajouté à ses listes Les films passés au crible, non expert, de la critique élochienne., Mon 22e festival de Cannes, 2015 à travers mes yeux et mes mots, Watching Challenge 2015 et Prix France Culture Cinéma des Etudiants
Créée
le 4 mai 2015
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