Les adaptations des Misérables de Victor Hugo (1862) ne manquent pas aussi bien au cinéma, à la télévision ou au théâtre, la plupart restant très proches du matériel de base, notamment en respectant l'époque citée (le début du XIXème siècle). Au début des 90's, Claude Lelouch se lance dans une réactualisation du récit en le projetant sur la première moitié du XXème siècle (dont une grande partie durant la Seconde Guerre Mondiale).
De même, si certains rôles renvoient à des personnages spécifiques, ils ne sont pas nommés de la même manière. Le spectateur peut alors faire le lien entre les personnages d'Hugo et ceux de Lelouch et vous ne mettrez pas longtemps à comprendre qui est Jean Valjean, Javert ou Fantine. Mais l'époque étant différente, les rôles changent également. Le bienfaiteur devient déménageur passeur de personnes juives, résistant à ses heures perdues. La femme contrainte de vendre ses cheveux est veuve de prisonnier, avec un enfant à charge. Les Thénardiers sont à la fois des tenanciers peu scrupuleux et des voleurs amateurs de séquestration. Quant à la petite Causette, il s'agit d'une enfant juive sauvée par Valjean en étant mise dans un couvent.
Contre-toute-attente, la réactualisation fonctionne. Tout n'est pas identique parce que l'époque le veut et les changements apportent au récit. Javert était autrefois un policier un peu trop droit et obstiné (la traque de Valjean était une véritable obsession, y compris en pleine Insurrection de Paris). Lelouch montre ici tout son contraire, Philippe Khorsand étant une véritable crapule collaboratrice et retourneuse de veste quand cela commençait à sentir le roussi pour les nazis. Un symbole dans une police française ayant du sang sur les mains ; et bien soucieuse de balayer devant sa porte pour ne pas être inquiétée.
La partie sur le couple Michel Boujenah / Alessandra Martines est rajoutée, permettant d'amener le couple Thénardier et d'évoquer les femmes tondues. Les Thénardier (Annie Girardot et Philippe Léotard) racontent tout et n'importe quoi à Boujenah, lui faisant croire à une apocalypse longue et frappadingue, afin de lui soutirer tout son argent. Quant à Martines, elle sera confrontée à la prostitution forcée et à la "punition" qui va avec. Lelouch questionne sur la situation qui arrange, avec celles qui subissent et celles qui ont des passes-droit en ayant fait exactement la même chose (le personnage de Marie Bunel en l'occurrence). De même que l'attitude de certains collaborateurs bien contents de voir les Américains, après avoir envoyé des gens à la mort par téléphone.
Néanmoins, le film a son lot de soucis. La première partie est un brin trop longue par rapport à son utilité sur le reste du film et le choix de Jean-Paul Belmondo pour jouer le père et le fils n'est pas forcément une si bonne idée, l'acteur incarnant les deux personnages de la même manière. Ce qui amène un manque de nuance, bien que l'acteur joue bien. Toujours dans le casting, Antoine Duléry en fait beaucoup trop, notamment dans la scène des cabines. On peut également trouver le mariage final aussi forcé que douteux ; et certains passages chantés par Didier Barbelivien laissent à désirer. Mais le gros tord reste ces passages adaptant vraiment le roman d'Hugo, aussi inutiles que redondants. Un aspect qui rappelle que Lelouch est un réalisateur souvent trop généreux pour le bien de ses films, au point de ne pas savoir s'arrêter. Ce qui donne ici un film trop long pour ce qu'il raconte.
Néanmoins, le réalisateur signe un film intéressant, évoquant une époque sinistre avec justesse, avec un casting pour le moins spectaculaire. Outre Belmondo, notons les performances indéniables de Khorsand, Philippe Léotard, Micheline Presle et bien évidemment Annie Girardot. Un temps mise de côté par la profession au point de surtout s'imposer au théâtre et à la télévision, Girardot obtient le César du meilleur second-rôle féminin pour le film, devant un public dont certains membres ont certainement contribué à son oubli comme elle le suggérait à sa manière dans son discours. Le seul prix de la cérémonie pour Les Misérables (et sa seule nomination), qui sera également récompensé aux Golden Globes en tant que meilleur film étranger.