Voilà des années que Hollywood parle d'une adaptation du plus célèbre roman de Victor Hugo. Alan Parker devait réaliser l'adaptation de la célèbre comédie musicale. Aujourd'hui c'est chose faite sous la houlette du réalisateur danois Bille August, lauréat de deux Palmes d'Or. L'affiche de ses "Misérables" est alléchante grâce à un casting de premier ordre: Liam Neeson, que l'on a toujours vu imprégné par ses rôles, en Jean Valjean, Geoffrey Rush, oscarisé pour "Shine" et magistral dans "Elizabeth", en Inspecteur Javert, Uma Thurman en Fantine et Claire Danes en Cosette.
La vision du film confirme que Bille August sait travailler avec ses comédiens. Neeson et Rush forment un couple entre haine et honneur avec une grande justesse. D'ailleurs le scénario se resserre sur cette relation. August se permet donc des raccourcis ou carrément des ellipses par rapport au roman, pour mieux centrer son film sur les personnages principaux et en faire ainsi les héros d'une tragédie quasi shakespearienne. Et là, ces "Misérables" dégagent un charme indéniable. Entendre les héros de Hugo s'exprimer dans l'anglais de Oxford en insistant bien sur certains termes français confère à l'ensemble un côté académique des mieux sentis.
Aidé par une photographie en Scope recréant à merveilles les tons automnaux, August a recours à une mise en scène sobre qui une fois encore s'appuie sur les personnages. Liam Neeson incarne un Jean Valjean brut et intègre. Il lui donne une force naturelle et l'on sent à chaque instant qu'il est devenu ce qu'il est par des coups du sort qu'il est inutile d'énoncer. En Inspecteur Javert, Geoffrey Rush réalise une nouvelle fois une performance digne d'être mentionnée. Bien sûr son Javert et retors, mais il reste humain et fragile, voire insatisfait et surtout extrêmement jaloux. Cet extraordinaire comédien possède une aura indescriptible à laquelle il faudra s'habituer à l'avenir.
Autre atout et pas des moindres: la musique. Confiée à l'excellent Basil Poledouris qui reprend le flambeau derrière Gabriel Yared initialement prévu, elle enveloppe le film avec une très grande majesté. L'auteur de "Conan" nous offre une partition sombre proche d'un requiem sans jamais tomber dans la lourdeur: un travail exceptionnel vu le peu de temps dont disposait Poledouris pour le réaliser.
Malheureusement il est nécessaire de signaler deux petites ombres à ce tableau. La première réside dans la pauvreté d'écriture du personnage de Cosette qui devient ici une jeune fille pleurnicheuse sans grande envergure. La seconde tient à ce que le Paris de Bille August, constitué de bouts de Prague et de Paris, sent trop le décor hollywoodien. Les égouts par exemple sont trop propres. N'importe qui oserait s'y plonger. Les rats en sont absents et l'eau paraît aussi claire que celle des mers du Sud.