Lâcheté et mensonges
Ce commentaire n'a pas pour ambition de juger des qualités cinématographiques du film de Ladj Ly, qui sont loin d'être négligeables : même si l'on peut tiquer devant un certain goût pour le...
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le 29 nov. 2019
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Une scène, plus que les autres, est assez parfaite et résume beaucoup des qualités du film.
La chaleur écrase Montfermeil, et au pied des barres, des enfants jouent avec leurs pistolets à eau. Quand la 308 de la BAC déboule, les gamins se jettent sur la voiture et asperge les policiers en riant. Ce n'est qu'un jeu, et la frontière entre les habitants du quartier et sa police semble, au moins pour quelques secondes, être abolie. Le spectateur redécouvre une interaction familière, entre êtres humains d'âges différents: le jeu, et pourquoi pas la complicité.
Jusqu'à ce que l'un des minots fixe les agents en mimant un égorgement, avec un grand sourire. Tout le sens de la scène s'inverse alors, l'innocence se transformant en impuissance. L'enfant semble dire: on regrette de n'avoir que de l'eau à vous proposer.
Mais l'ambiguïté est à tiroir: dans quelle mesure le geste de l'enfant est-il représentatif de l'état d'esprit de ses camarades ? Le vers qui pourrit le fruit ? Symbolise-t-il l'étincelle de violence qui pourrait faire tout basculer ? Est-il le seul à oser reproduire des gestes vus autour de lui ou sur un écran ? Est-il le seul a avoir subi un jour l'action de la violence policière ? Est-il simplement l'idiot traditionnel qui ne mesure pas les possibles conséquences de sa seconde de bravade ?
Car ces misérables ne manque pas d'intérêt, et le premier d'entre eux, qui est aussi sa grande faiblesse, est cette perpétuelle ambiguïté, cette peinture en clair-obscure des différents acteurs du drame: un peu comme chez sa grande soeur, figure tutélaire à laquelle on ne peut que penser (The Wire, plus grande série sociale jamais diffusée), on prend bien soin de ne pas définir des camps facilement identifiés. Personne n'est complètement tout bon ou tout mauvais, en fonction du moment et des circonstances, chacun est d'abord mû par ce qui va lui permettre de sortir son épingle du jeu (ou s'en sortir tout court). En filigrane, c'est d'ailleurs bien là que le film nous explique ou se situe le problème majeur et principal de ces zones confinées en ghetto: cette absence de destin commun.
Ou comment nos banlieues se révèlent de formidables révélatrices de nos sociétés dans leur globalité.
A l'opposé, là ou Ladj Ly se garde bien de mettre le pieds (alors que cela semblait bien être le sujet même de son film: aller là où plus personne n'ose s'aventurer), c'est de décrire en profondeur les conséquences de la prise en mains des quartiers par les frères musulmans (contrairement, donc, à The Wire, qui déroule toutes les conséquences politiques de son récit). Il explique très bien comment et pourquoi cette main-mise s'opère (puisque, on le sait, personne d'autre ne veut plus le faire), mais pas ce que cela, en bout de course, sous-tend et implique.
Puisque, bien entendu, le remède est au moins aussi toxique que le mal, contribuant à fracturer encore plus le lien qui s'est déjà totalement distendu, en le transformant au contraire en barrière un jour totalement infranchissable. Avec la rhétorique que la loi d'un dieu imaginaire est supérieure à celle d'une république qui se voulait une et indivisible, le constat, l'état des lieux que dresse le film, ne pourra que continuer à s'assombrir. L’œuvre ne veut du coup pas aller au bout de sa logique (pris au piège de son parti-pris spectaculaire) en refusant une prise de parole risquée (la laïcité comme seule échappatoire possible, condition nécessaire mais non suffisante) car trop politique.
Un manque soudain, qui peut questionner l'ensemble de la démarche.
Parce que, comme toujours, le film est limité par sa forme, contraint par ses procédés.
Le condensé d'une double journée d'un flic novice cristallise une volonté pour le coup factice de spectacularisation du quotidien des banlieues. La scène d'ouverture, elle même, semble vouloir arrondir les angles par une volonté œcuménique discutable, en ne présentant qu'un seul drapeau algérien perdu au milieu d'étendards simplistement tricolores. Le final, qui emprunte les codes du film de guerre, en épouse surtout les limites: on ne le dit jamais assez, l'emploi d'un ralenti est dans 99% des cas une erreur de grammaire cinématographique.
Reste la conclusion du film, cette fameuse citation d'Hugo, qui peut avoir révulsé certains spectateurs, dans cette apparente volonté de renvoyer tout le monde dos à dos, en exonérant tous les protagonistes, par la grâce d'une responsabilité diluée et exogène.
Pour le coup, le réalisateur me semble ici salutairement moins ambigu et plus affirmé.
C'est indéniable, la France de Victor Hugo n'est pas celle d'aujourd'hui. Mais au nom de quoi un principe, humaniste et universel, admis depuis le XIXème siècle, serait-il devenu aujourd'hui parfaitement invalide ? Pourquoi l'explication d'une éducation nécessaire à l'élévation humaine n'aurait-elle plus aucune valeur ? Je suis de plus en plus surpris par les gens qui considèrent ceux dont le comportement leur est incompréhensible (les "autres" au sens large, les femmes, les fonctionnaires, les gens d'origines différentes… les catégories de personnes à mépriser semblent infinies) comme foncièrement extérieurs à eux, presque étrangers à leur condition humaine. Comme si aucun élément extérieur n'expliquait jamais que certains phénomènes se reproduisent partout, quelques soient les époques et les continents (en gros, aucune "race" ou catégorie socio-professionnelle n'a jamais, selon moi, expliqué un type de comportement, au contraire de la pauvreté et l'analphabétisme, qui ont souvent permis ou poussé, historiquement et sociologiquement, à certaines extrémités).
Et en ce sens, cette prise de parole finale reste essentielle, et sauve quelques ambiguïtés ou faiblesses aperçues ça et là (comme, donc, la faiblesse du discours sur le danger mortifère que représente le communautarisme - religieux, ethnique ou simplement catégoriel-): oui, l'éducation et les conditions matérielles dans lesquelles nous évoluons restent des facteurs déterminants (mais pas absolus) pour augmenter les possibilités d'une vie sans trop de violence ou activités non répréhensibles par la loi.
Si nous n'étions plus d'accord avec ce principe Hugolien, en quoi serions-nous différents du bourgeois du 19ème siècle qui souhaitait la peine de mort ou les galères pour un vol de chandeliers ?
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le 22 mars 2020
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