De toutes les adaptations du roman de Hugo que j'ai pu voir jusqu'à maintenant, aucune ne m'a paru supérieure à celle de Jean-Paul Le Chanois en 1958.
Celles étrangères, de Milestone et Bille August, celles de la télé de Bluwal ou de Dayan, celles au cinéma de Lelouch n'ont aucune chance. Les deux seules qui pourraient, à la rigueur, tenir la corde sont celles de Raymond Bernard avec Harry Baur et celle de Hossein avec Ventura. Et encore cette dernière a trop accentué le misérabilisme … Oui, l'adaptation de Raymond Bernard, que je n'ai vu malheureusement qu'une fois à la télé m'avait aussi laissé une bonne impression avec ses trois parties.
Mon avis est peut-être un peu faussé car la version de Le Chanois que je préfère est celle que j'ai vue en premier vers l'âge de 14 ans au cinéma alors que je ne connaissais pas le roman. L'impression fut et reste encore aujourd'hui extraordinaire. C'était une séance organisée pour les collèges et les lycées et je me souviens encore que j'étais sorti du cinéma complètement bouleversé (heureusement, je n'étais pas le seul). Les deux seules autres adaptations que j'ai vues au cinéma (beaucoup plus tard) sont celle de Hossein et de Lelouch ne m'ont pas du tout touché de la même façon.
Cela se joue d'abord sur le découpage de l'histoire, sur ce que le cinéaste retient du roman et met en scène. Concernant la version de Le Chanois, le scénario et les dialogues sont de Le Chanois et de René Barjavel. Ils ont été à l'essentiel du roman. Il parait que la version initiale était fort longue et qu'ils ont dû pas mal élaguer. Le seul petit regret que j'ai, concerne la partie "Fauchelevent" dans le couvent qui est réduite à sa plus simple expression alors que cette étape est une étape importante de construction de la relation Valjean/Cosette.
Et cela se joue surtout sur le casting. Dans la version Le Chanois, il est fabuleux.
Le truc génial de la version de Le Chanois, c'est le narrateur en voix off qui fait le lien entre les scènes et le roman, ajoute de la dramaturgie ou prend un léger recul sur l'appréciation des évènements. Bien sûr, c'est Jean Topart qui s'y colle avec sa voix sépulcrale qui ne manque pas de causticité et même parfois d'un petit peu d'ironie.
Jean Gabin dans le rôle de Jean Valjean est l'homme de la situation avec son visage inexpressif et son attitude placide. Son jeu est très sobre. La dernière scène, strictement celle du roman, est simplement bouleversante et sans pathos.
Bourvil est excellent dans le rôle de Thénardier. Complètement à contre-emploi dans ce rôle de "petite" canaille, il montre ici l'étendue de son talent.
Sylvia Montfort qui est surtout une grande dame du théâtre et de la tragédie (Phèdre …) est ici une inoubliable Eponine. Le ton est juste. Le personnage dégage une grande émotion à travers son amour non partagé. Ce qui est inoubliable, c'est son regard d'une infinie tristesse que capte la caméra lorsqu'elle observe Marius et Cosette sur le banc. Son regard, encore, qui chavire au moment de sa mort alors qu'elle est dans les bras de Marius. Sylvia Monfort est largement supérieure à l'Orane Demazis dans la version Raymond Bernard.
Bernard Blier, droit dans ses bottes dans le rôle de Javert est aussi excellent. A sa façon, il rend une certaine beauté à son personnage à cause de sa rigueur et de son inflexibilité.
Fernand Ledoux est l'acteur parfait pour jouer Mgr Myriel. Lui aussi a le ton très juste du personnage (mieux que Louis Seigner dans la version Hossein). Acteur que je trouve toujours très attachant.
Dans les seconds ou troisièmes rôles, Gabrielle Fontan (en mère supérieure du couvent), Danielle Delorme dans le rôle de Fantine, Giani Esposito dans le rôle de Marius sont tous très bons.
Un très grand film. Puissant. Des acteurs inoubliables.