Grimpe la montagne, traverse le ruisseau, descend la rivière !

Il est amusant de voir à quel point Les Mitchell contre les Machines est partiellement comparable avec l’étron animé de 2017 Le Monde secret des Emoji : l’intention initiale n’est pas si éloignée puisque Sony Pictures Animation ont pour habitude de prendre des concepts ou des univers qu’ils modernisent et adaptent à l’époque moderne pour un résultat qui peut au mieux donner un extase inoubliable et exceptionnelle (Spiderman Into the Spiderverse) ou au pire donner un film à la ringardise pas piqué des hannetons, doublé d’une toxicité mortifère sur le propos qu’il renvoi (Le Monde secret des Emoji) et Dieu sait que ce ne sont pas les navets animés et mélange live/animation qui manquent chez eux. Inutile de revenir sur ce que valent Les Schtroumpfs en film live et la coproduction Angry Bird le film, et encore moins l’exécrable Pierre Lapin.


Un bourbier gluant et poisseux qu’est la filmographie du studio. Malgré cela il existe tout de même des rescapés pour éviter un bilan totalement catastrophique, tel que les premiers Hotel Transylvanie et Tempête de boulette géante premier du nom. Principalement parce qu’il y avait de réel créatif derrière pour maintenir le cap en bonne voie (Genndy Tartakovsky et le duo Phil Lord/Chris Miler dans ces cas-ci), qu’ils savaient aussi trouver un bon équilibre entre la comédie burlesque, le slapstick et du cartoon. Et enfin parce qu’il y a toujours eu une vraie envie de raconter une histoire en plus de divertir et de faire rire sans nous prendre pour des vaches à lait, et non pas une excuse pour capter l’intention des gosses tel un adulte jouant les fous évadés d’asile psychiatrique sous les yeux de son fiston pour l’occuper.


Les Michell contre les Machines semble être dans la lignée de ce qu’a été Spiderman into the Spiderverse. Certains talents de divers milieux s’étant réuni avec le duo Lord/Miller à la production (également conseiller sur ce film), en premier lieu Michael Rianda à la réalisation qui a déjà travaillé sur Souvenirs de Gravity Falls. Ce dernier, ayant déclaré dans un entretien que la technologie pourrait prendre le pas sur notre existence, ne prend pas cette invasion de robot comme toile de fond pour rien. Mais ça sera son vécu de geek et son expérience familiale qui le poussera à créer ce road-trip déjanté, mettant en valeur le rapport père/fille d’une adolescente et un père séparés par tout un pan culturel et générationnel mais pourtant doué d’une excentricité qui fera leur force.


J'étais un peu partagé entre petites craintes pendant le prologue (une famille déglinguée qui détruit tout en bagnole sur son chemin et un meme d’internet balancé pour décompresser, ça peut annoncer bien des choses en bien comme en mal), puis une réelle rassurance durant les premières minutes. D’un côté, Sony traite Katie et la famille Mitchell comme une bande d’excentrique mais de l’autre en partant d’une passion réelle et bien démontré pour chacun d’eux avec une caractérisation claire sans faire dans le guignolesque : que ça soit l’étrange créativité artistique de Katie, la passion sans retenue du jurassique pour Aaron le petit frère, le soutien perpétuel de Linda et l’amour de la nature du père coincé et déconnecté du réseau, Rick Mitchell... et un chien pas plus normal que le reste de la famille.


Chacun est très bien défini par son attitude et ce qui l’anime, et le premier quart d’heure réussit à créer une réelle proximité entre nous et cette famille dysfonctionnelle. Et ce principalement parce Mark Rianda les estime malgré leurs failles évidentes, il crée de réelle interaction par le dialogue sans virer au cri et à la cacophonie excédentaire, et il trouve une base très intéressante et à grand potentiel entre l’écart culturel et générationnel qui anime Katie et Rick (la millenial, génération dans laquelle je me retrouve, et le boomer pour Rick sans le faire passer pour un vieux con) sans mettre l’un au-dessus de l’autre. En montrant que cet écart émotionnel et générationnel n’est pas plus à imputer à l’indifférence et au désintérêt de Rick envers les technologies actuelles et son entêtement qu’à Katie qui croit plus s’identifier à une bande d’ami fraichement rencontré par les réseaux sociaux et partageant des passions communes très fortement qu’avec sa propre famille malgré des moments complices réels avec son frère ou l’affection de sa mère.


Quoi de mieux qu’un road movie pour resserrer les liens et mettre en exacerbe ce qui ne va pas et le pourquoi de la chose ! Et pour démontrer donc dans un premier temps le rapport compliqué et distancié que partage Rick et Katie avec ce qui ont fait leurs souvenirs heureux commun.


En passant par l’embarras de Katie à l’écoute de la compilation musicale père/fille, son incapacité à quitter son portable du regard suite à une proposition de randonnée de son père, et ce jusqu’au lent silence de malaise qui peut s’ensuivre durant de longues secondes.


En enchaînant une série de petit moment tantôt penché sur le comique de manière très efficace, tantôt sur une série de petits constats désagréables qui s’accumulent et fait davantage ressentir la difficulté de communiquer entre le père et la file, et ce malgré les efforts de la mère et l’investissement du frérot.


Les enjeux de ces deux derniers sont à échelle plus humoristique et un peu plus atténué mais leurs chimies avec l’époux et la sœur leur permettent de se mettre à leur niveau face à l’apocalypse robotique qui intervient et de nous prendre également de sympathie à leur égard. D’autant que chacun sert en partie de conseiller précieux entre deux générations quand ça dérape et quand il faut recoller les morceaux, en sachant d’ailleurs quand leurs interventions doivent être sérieuse et grave, et quand ils peuvent se permettre d’être déjanté et loufoque (les pancartes indicatives, un classique mais ça marche toujours quand c’est bien fait).


Sans compter qu’il n’aurait pas été difficile de foirer ce cocktail entre comédie slapstick, relation familiale terre à terre et invasion robotique ultra-fantaisiste. Et que s’y attendre de la part de Sony Pictures Animation, c'est légitime dès qu’on a un truc comme Pierre Lapin en tête qui était incapable d’introduire un gag ou de créer de l’empathie pour un bande de boule de poil méprisable et dont le drame familial était survolé en un coup de tonnerre. En comparaison, Michael Rianda et Jeff Rowe font un excellent tri à quelques couacs près, en focalisant l’humour et la fantaisie lors de l’action à plein régime et en restant réaliste lorsqu’il est question des rapports familiaux.


Ça marche dans le premier cas en restant focalisé sur ces principes tout simples : la règle des 3, la brièveté de la vanne avec du dosage (la bataille du centre commercial, déjà bien délirant à la base mais encore plus quand l’armée de Flurby se jette dans la mêlée façon film d’horreur) et surtout une tornade de créativité en tout genre avec sa toile de fond.


En plus de démontrer un vrai amour pour la pop-culture et de ne pas s’en servir comme argument bêbête pour appâter les spectateurs : entre les plans en mode film d’horreur du centre commercial avec son jeu de couleurs froides et menaçantes, le pitch du film à la Terminator, les touches de slapstick, une transition Batman façon série d’Adam West, le postapocalyptique à la Mad Max, les faciès qui ne sont pas sans faire penser aux tronches cartoons des animés japonais par moment, ou encore ce climax totalement déluré et qui ne s’impose plus de limite, c’est d’une réelle générosité en mettant aussi bien l’aspect référencé au service du caractères des personnages qu’à celui du récit en variant les allusions sans pour autant se faire cannibaliser par elles.


Et ils font aussi démonstration d’une mise en image de très bonne facture dans l’intimité des personnages également avec une série de petits détails aussi discrète que parlant sur le parcours relationnel et émotionnel des Mitchell


(les deux plans montrant une Katie déçue et vexée passer du côté éclairé au côté sombre avec un cœur qui se brise lors du flash-back pour soulever la fantaisie de son monde à elle, et que nenni dans une situation plus dramatique lors du confinement... on va tous haïr ce mot pour le reste de notre vie)


ou en laissant simplement les personnages et les images respirer de façon naturelle.


Le tout à l’image du départ de Katie enfant en colonie de vacances qui prend une importance affectueuse toute particulière : quasiment sans coupe, laissant la caméra de Rick filmer l’instant et nous mettre en rapport avec un petit élan sculpté dans le bois qui prendra une valeur symbolique et affective très forte.


Et ce genre de petit détail qui montre que tout et rien lie Rick et Katie plus qu’ils ne le croient de prime abord, ça ne manque pas y compris par leur propre passion respective.


La technologie étant d’ailleurs montré ici de trois manières différentes : soit comme un frein et un gouffre générationnel (la difficulté de quitter son écran lors d’un repas de famille), soit comme un rappel émotionnel (les vidéos souvenirs de la caméra) ou comme un moyen que chacun peut s’approprier pour des bonnes comme de mauvaises raisons (la prise de contrôle des robots par l’I.A. Pal comme la faille laissé dans le système par le créateur, les petits films totalement barrés de Katie). Autant dire qu’on est bien loin de l’enfermement robotique et stérile dépeint par The Emoji Movie avec son apathie consternante. Quand bien même la technologie est ici plus un moyen et un conducteur que le véritable sujet central, ce qui n’est vraiment pas plus mal.


Mais ça ne veut pas dire qu’on évite quelques erreurs de goût et un gag malheureux dû à cette toile de fond, car c’est là que les rares démons des productions toxique précédentes reviennent à la charge. Au premier plan par le prisme de Pal, l’I.A. doué de conscience à la tête de la rébellion des machines n’est animé que par sa rancœur et sa logique sur la nature humaine et leur dépendance lié aux nouvelles technologies et quand ça veut faire rire, ça rappelle par moment les heures sombres d’un film que je n’ai pas besoin de citer


(les gens qui se précipitent dans les caisses à confinement sous prétexte qu’il n’y a plus de Wifi sur Terre... des gens dépendants existent mais ce n’est pas l’extrapolation la plus agréable pour eux, les jeunes accro H24 aux portables dans The Emoji Movie c’était déjà le summum du ridicule)


ou ça tombe au plus mauvais moment, créant une cassure très malvenue


(le bilan de Katie sur son rapport familial directement moqué et fusillé par Pal accusant la nunucherie du propos et la malhonnêteté du genre humain)


quand ça n’est pas la contradiction immédiate d’un fait prétendu


(le PDG de Pal, Mark Bowman, contredit à l’extrême par Pal et son système informatisé sur l’impression générale des Mitchell).


Alors que pourtant on des personnages robots réussis quand le film le veut vraiment, et vraiment drôle d’ailleurs. La preuve s'il en est du duo de robot défaillant indissociable, Éric et Éric, dont les dialogues et leurs réactions face à leur état dysfonctionnelle et la famille Mitchell deviennent un véritable remède contre la déprime. En plus d’être à l’origine du meilleur running gag du film (Monchi qu’ils confondent avec un cochon ou une brique de pain de mie, merveilleux), ils se discutent facilement la place de mascotte avec Monchi tant ils deviennent aussi excentriques que les Mitchell au fil des actes.


Et sur le plan de l’esthétique, si on n’atteint pas la même prouesse d’un Spiderman Into the Spiderverse, l’équipe en charge de Les Mitchell contre les Machines réussit à rester dans sa droite lignée tout en innovant dans leur catalogue pour un résultat d’une très grande fraîcheur. Distinguant aussi bien les humains avec ce coup de crayon façon bande-dessinée avec une petite sensation de cell-shading et un côté bordélique et grand foutoir dans leur environnement ainsi que leurs habits, et la DA bien plus proprette, plus ordonnée et aseptisée des robots de Pal, de leur architecture technologique et informatique futuriste. Cela va jusqu’aux choix de couleurs très vives qui entourent les Mitchell aux éclairages très nette et aux formes géométriques du repère des robots. Il y a un énorme travail de cohérence pour retranscrire l'état d'esprit de ces deux environnements et univers qui s'affrontent et se croisent sans cesse, mais également pour les faire cohabiter tant dans le visuel que sur le fond et rien que ça c'est une énième preuve de consistance dans une direction artistique en animation.


Quant au doublage français, l’absence de campagne promo étendue ou forte a peut-être joué mais on nous épargne enfin un star-talent aberrant comme on en a eu souvent chez Sony Pictures Animation. Les vétérans de longue date comme Bruno Magne et William Coryn sont fidèles à ce qu’ils savent faire de mieux, tandis que les acteurs habitués à jouer devant une caméra s’en tire tout aussi bien (Lou Viguier comme Valérie Bonneton). Ils se permettent par ailleurs de corriger quelques fautes de goût de la VO comme pour Aaron (Mike Rianda ayant une voix adulte qui le sort constamment du personnage), reste à voir ce que ça vaut au niveau des blagues entre les deux doublages.


A la fois débridé, intimiste et réussissant à être à la fois personnelle pour son réalisateur et aussi imaginatif que drôle, Les Mitchell contre les Machines enrichit un peu plus une filmographie de studio qui semble regagner quelques couleurs malgré une période chaotique l’ayant contraint à une sortie sur plateforme légale et avec une campagne promotionnelle réduite. Les prochaines sorties animées du studio semblent plus inégales que jamais (la suite de Spiderman Into the Spiderverse a un défi de taille à relever mais les noms qui s’y associent ne le rende que plus excitant, Vivo peut être plaisant et c’est rassurant de voir Joshua Cooley à la tête du projet Matamander... mais de l’autre un Hôtel Transylvanie 4 sans Tartakovsky à la réalisation ou au scénario n'a aucun intérêt et Wish Dragon ne semble pas voler très haut au vu du premier teaser). Mais rien n’empêche d’espérer que Les Mitchell contre les Machines servent de guide et d’exemple pour les futurs projets qui méritent qu’on s’y intéresse un peu.

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